o Adapter aux pénuries et à l’inflation les contrats de la commande publique

Matières premières introuvables, prix de l’énergie en hausse vertigineuse : il faut adapter les marchés publics et les contrats de concession pour assurer la continuité du service public.

Avant de quitter Matignon, Jean Castex a cédé au lyrisme dans la présente circulaire : « L’instabilité et l’envolée sans précédent des prix de certaines matières premières, tout particulièrement du gaz et du pétrole, constituent une circonstance exceptionnelle de nature à affecter gravement, dans plusieurs secteurs d’activité, les conditions d’exécution des contrats, voire leur équilibre économique, et à mettre en danger la pérennité de nombreuses entreprises ainsi que l’emploi de leurs salariés, et par voie de conséquence la continuité même des services publics. »

La suite du texte est plus classique. En raison de cette situation, les ministères et les opérateurs de l’État placés sous leur tutelle sont invités à veiller à l’application de la présente circulaire dans les marchés publics et les contrats de concession. De même, les préfets doivent sensibiliser les collectivités locales et leurs établissements publics à l’importance de ces principes et règles.

Renoncer à certains matériaux

Cette situation peut notamment rendre nécessaire une modification des spécifications des contrats, par exemple en substituant un nouveau matériau à celui qui était prévu à l’origine et qui est devenu introuvable ou trop cher, ou en modifiant les quantités ou le périmètre de prestations à fournir, ou en aménageant les conditions et les délais de réalisation des prestations.

Le code de la commande publique, notamment ses articles R. 2194-5 et R. 3135-5, permet de modifier un contrat en cours d’exécution, dès lors que ces modifications sont rendues nécessaires par des circonstances qu’une autorité contractante diligente ne pouvait pas prévoir lorsque le contrat a été passé. Chacune de ces modifications peut atteindre 50 % du montant initial pour les contrats de la commande publique conclus par des pouvoirs adjudicateurs, et il n’y a pas de plafond pour ceux qui ont été conclus par des entités adjudicatrices intervenant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux.

En revanche, l’acheteur ne doit pas utiliser ces dispositions pour modifier par voie d’avenant les clauses fixant le prix, lorsque cette modification du prix n’est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat.

Quand l’économie du contrat est bouleversée

Par ailleurs, on peut dans certains cas recourir à la théorie de l’improvisation, prévue à l’article L. 6 du code de la commande publique, en versant une indemnité au cocontractant. En principe, il n’y a pas lieu de recourir à la théorie de l’imprévision lorsque le marché comporte un mécanisme de révision de prix en fonction de la conjoncture économique. Toutefois, le droit du titulaire à indemnité peut être reconnu lorsque, même après application des clauses contractuelles, l’économie du contrat est bouleversée. Mais un simple manque à gagner ne permet pas d’appliquer cette théorie : il faut que « l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée », selon la formule du Conseil d’État.

Il convient donc de procéder à la détermination des charges extracontractuelles qui pèsent sur le contrat du fait de l’augmentation exceptionnelle des prix, qu’il s’agisse de celui de l’énergie ou de celui de certaines matières premières, à l’exclusion des autres causes ayant pu occasionner des pertes à l’entreprise. Ces charges sont appréciées par rapport à l’exécution du marché au coût estimé initialement pour des conditions économiques normales. Elles doivent être déterminées au cas par cas au vu de justifications comptables.

Le titulaire doit être en mesure de justifier, d’une part, son prix de revient et sa marge bénéficiaire au moment où il a remis son offre et, d’autre part, ses débours au cours de l’exécution du marché. Le cas échéant, il conviendra de tenir compte de la différence entre l’évolution réelle des coûts et celle résultant de l’application de la formule de révision. Lorsque l’état d’imprévision est caractérisé, le montant de l’indemnité doit être déterminé au cas par cas, en tenant notamment compte de la taille de l’entreprise. Il peut s’agir d’une indemnité provisionnelle, versée sans attendre ; le montant définitif de l’indemnité sera calculé en fin de contrat.

L’augmentation des prix ne conduit pas, en elle-même, à une situation de force majeure permettant au titulaire de se soustraire à ses obligations contractuelles. Néanmoins, le Premier ministre souhaite que l’exécution des clauses prévoyant des pénalités de retard ou l’exécution des prestations aux frais et risques du titulaire soit suspendue tant que celui-ci est dans l’impossibilité de s’approvisionner dans des conditions normales.

Les contrats de droit privé peuvent être concernés

Enfin, si des entreprises venaient à signaler les mêmes difficultés dans l’exécution de leurs contrats de droit privé, l’article 1195 du code civil prévoit, pour ces contrats conclus depuis le 1er octobre 2016, une obligation de principe de tirer les conséquences du bouleversement de l’équilibre économique du contrat par une renégociation du contrat entre les parties ou par une modification ou une résiliation par le juge ; c’est la même logique que la théorie de l’imprévision.

Cette disposition du code civil n’étant pas d’ordre public, elle peut avoir été contractuellement aménagée ou écartée. Toutefois, compte tenu des circonstances exceptionnelles actuelles, les parties peuvent convenir de neutraliser une telle clause limitative dans une logique de répartition des aléas économiques.

Circulaire relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières (n6338/SG, mise en ligne le 1er avril 2022).

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