o C’est l’Europe qui détermine les motifs d’exclusion des marchés publics et des concessions

La France n’a pas à interpréter les dispositions inconditionnelles et précises d’une directive.

À moins d’être féru de droit constitutionnel comparé, vous n’avez sans doute pas porté une attention particulière à une décision rendue le 7 octobre dernier par le tribunal constitutionnel polonais. Cet organe correspond à peu près au Conseil constitutionnel français, à un point près qui change beaucoup de choses : il est élu par l’une des deux chambres du Parlement polonais, la Diète, et son orientation dépend donc de la majorité politique au pouvoir.

Comme la majorité actuelle dans ce pays est plutôt anti-européenne, le tribunal constitutionnel a décidé ce jour-là que certains articles des traités européens sont incompatibles avec la Constitution de la Pologne et sapent la souveraineté du pays. Ce n’est là qu’une nouvelle étape du bras de fer entre cet État membre et les institutions européennes, mais c’est une étape qui aurait pu être décisive, si la Pologne en avait profité pour refuser d’appliquer les dispositions contestée. En fin de compte, sous la pression de tous les autres États membres, sauf la Hongrie bien entendu, le gouvernement a renoncé pour l’instant à profiter de cette décision. On verra bien ce qu’il en sera par la suite.

Le Conseil constitutionnel français se démarque de la Pologne

Il se trouve qu’en France, le Conseil constitutionnel était au même moment saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui visait à contester une disposition du droit français transposant directement une directive, et qu’il a rendu sa décision huit jours après (décision n2021-940 QPC du 15 octobre 2021, JO 16 oct. 2021, texte n52). Ce faisant, il s’est clairement démarqué de la Pologne, en traçant une limite précise à son pouvoir dans un tel cas.

En vertu de l’article 88-1 de la Constitution, a-t-il décidé, « la transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. En l’absence de mise en cause d’une telle règle ou d’un tel principe, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive ou des dispositions d’un règlement de l’Union européenne. Dans cette hypothèse, il n’appartient qu’au juge de l’Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive ou ce règlement des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

Une règle inhérente à l’identité constitutionnelle de la France

Dans l’affaire tranchée par la décision du 15 octobre, les dispositions contestées se bornaient « à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises » d’une directive. « Par conséquent, le Conseil constitutionnel n’est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l’Union européenne, est inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. »

Ces phrases ont été mûrement réfléchies, et c’est pourquoi on les retrouve telles quelles dans la présente décision, qui porte sur un tout autre sujet. Cette fois-ci, ce sont deux articles du code de la commande publique qui font l’objet d’une QPC : ils donnent la liste des articles du code pénal et du code général des impôts dont la violation, sanctionnée par une condamnation définitive, entraîne l’exclusion du condamné des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession. Selon les requérants, les deux articles contestés instituent une peine, qui devrait par conséquent être prononcée et éventuellement modulée ou retirée par la juridiction de jugement.

Après avoir répété texto le même principe général que dans sa décision du 15 octobre, le Conseil constitutionnel constate que les articles du code de la commande publique en cause se bornent à transposer l’article 38 de la directive 2014/23/UE et l’article 57 de la directive 2014/24/UE, toutes deux du 26 février 2014. Comme dans sa décision du 15 octobre, il constate que ces dispositions « se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de ces directives » et il ajoute la même limitation de sa compétence, toujours dans les mêmes termes.

Efficacité de la commande publique et bon usage des deniers publics

Dans le cas présent, il décide que les dispositions contestées n’ont pas pour objet de punir les opérateurs économiques mais d’assurer l’efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics, et qu’elles n’instituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition. « D’autre part, les principes de nécessité et d’individualisation des peines, qui sont protégés par le droit de l’Union européenne, ne constituent pas des règles ou principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France.

« En second lieu, le droit à un recours juridictionnel effectif, qui est également protégé par le droit de l’Union européenne, ne constitue pas non plus une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. » Par conséquent, il n’y a pas lieu pour lui de statuer sur cette QPC.

Conseil constitutionnel : décision no 2021-966 QPC du 28 janvier 2022 (JO 29 janv. 2022, texte no 69).

Retour