o Comment adapter un marché public ou un contrat de concession à la situation économique actuelle

Cette circulaire donne les clés pour adapter les contrats de la commande publique aux pénuries ou aux augmentations des prix, tout en respectant le droit en vigueur, contrairement au précédent texte.

Après Jean Castex, c’est sa remplaçante à Matignon, Élisabeth Borne, qui se penche sur les difficultés économiques des entreprises, dans le cadre de l’exécution des contrats de la commande publique. La présent circulaire en abroge donc une précédente du 30 mars, tout en restant dans la même tonalité.

La théorie de l’imprévision ne permet pas tout

Le précédent texte présentait un sérieux défaut : rédigé dans l’urgence, il n’était pas très solide sur le plan juridique. Certes, le droit administratif a dégagé des règles permettant d’adapter les contrats publics à des situations problématiques, en particulier la théorie de l’imprévision. Mais on ne peut pas y avoir recours à la bonne franquette, simplement parce que cela vous arrange.

La Première ministre a donc demandé son avis à l’assemblée générale du Conseil d’État, qui l’a rendu le 15 septembre. Le présent texte s’en inspire étroitement. C’est préférable, puisque ce sera le Conseil d’État qui jugera, au moins en cassation, de la conformité au droit des mesures prises, en cas de recours.

Le point principal de cet avis est que, « si les clauses financières contractuelles, dont le prix, convenues par les parties ne peuvent en principe être modifiées, il est néanmoins possible de déroger à ce principe dans les conditions fixées par les directives européennes de 2014 relatives aux marchés publics et aux contrats de concession et transposées dans le code de la commande publique ».

Les ministres doivent donc se conformer à cet avis pour les contrats passés par leurs services, et inviter les opérateurs de l’État placés sous leur tutelle à en faire autant. De même, les préfets sont priés de sensibiliser les collectivités territoriales et leurs établissements publics, dans le respect de leur libre administration, à l’importance des principes et règles énoncés dans le présent texte.

Prendre en compte les fluctuations économiques

Le droit de la commande publique impose aux cahiers des charges de prendre en compte les fluctuations économiques pour l’exécution financière de nombreux marchés publics. Ainsi, l’article R. 2112-13 du code de la commande publique (CCP) impose de conclure des marchés publics à prix révisables « dans le cas où les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations ».

Et l’article R. 2112-14 précise que, pour les marchés de plus de trois mois qui nécessitent une part importante de fournitures dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux, la clause de révision de prix inclut au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours. C’est le cas notamment de nombreux marchés de travaux. Ces obligations devront être respectées dans les futures procédures de passation des marchés.

Modifier les conditions d’exécution

Pour faire face au contexte de hausse et de volatilité du prix de certaines matières premières et de certains composants, il est possible de recourir à une modification des contrats dans les conditions prévues par le CCP. Cela ne soulève pas de difficultés particulières lorsque la modification envisagée concerne les spécifications techniques et les conditions d’exécution, par exemple lorsqu’elle vise à substituer un produit ou un matériau à celui initialement prévu et devenu introuvable ou trop cher, à modifier les quantités ou le périmètre des prestations à fournir, ou à aménager les conditions et délais de réalisation des prestations pour pallier les difficultés provoquées par cette situation.

Le principe selon lequel le prix contractualisé ne peut être modifié découle des principes de libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats, qui interdisent notamment la remise en cause des conditions de mise en concurrence initiale.

Toutefois, les directives de 2014 ont expressément prévu des possibilités de modifier le contrat initial. De telles modifications sont notamment possibles, soit parce qu’elles sont rendues nécessaires par des circonstances qu’une autorité contractante diligente ne pouvait pas prévoir, soit parce qu’elles sont d’une ampleur limitée ; et les directives n’interdisent pas expressément une modification portant exclusivement sur les clauses financières des contrats.

Les conditions économiques nouvelles survenues depuis la conclusion du contrat peuvent donc justifier une renégociation des prix ou des autres clauses financières en application des articles R. 2194-5 ou R. 3135-5 du CCP, qui prévoient la possibilité de modifier les marchés ou les concessions lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qui ne pouvaient pas être prévues.

Le Conseil d’Etat précise qu’une telle modification n’est possible que si l’augmentation des dépenses exposées par l’opérateur économique ou la diminution de ses recettes imputables à ces circonstances ont dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat. En revanche, elle ne peut avoir pour effet d’assurer au cocontractant la couverture des risques dont il a tenu ou aurait dû tenir compte dans ses prévisions initiales.

Assurer la continuité du service public

Le montant de la compensation est négocié entre les parties dans la limite de ce qui est nécessaire pour permettre à l’entreprise titulaire de poursuivre l’exécution du contrat dans le respect de l’exigence constitutionnelle de bon emploi des deniers publics et du principe général interdisant aux personnes publiques de consentir des libéralités.

Le Conseil d’État a ainsi rappelé que la modification de prix doit être strictement limitée dans son champ d’application et dans sa durée à ce qui est rendu nécessaire par les circonstances imprévisibles pour assurer la continuité du service public et la satisfaction des besoins de la personne publique.

L’acheteur devra donc vérifier la réalité et la sincérité des justificatifs apportés par le titulaire, pour éviter de payer des sommes sans lien avec les circonstances imprévisibles ou dont la réalité ne serait pas objectivement justifiée. Ces modifications sont limitées à 50 % du montant initial du contrat pour les marchés et concessions conclus par les pouvoirs adjudicateurs.

Par ailleurs, il est toujours possible, pour remédier à des difficultés dans l’exécution du contrat, de procéder à une modification limitée des clauses financières sur le fondement des articles R. 2194-8 ou R. 3135-8 du CCP. Ces articles autorisent les modifications des contrats, dès lors que ces modifications n’excèdent pas 10 % du montant initial du contrat pour les marchés de fournitures et de services ainsi que pour les contrats de concession.

Pour les marchés de travaux, c’est 15 % du montant initial du contrat. Dans tous les cas, il faut rester sous les seuils européens. De telles modifications doivent néanmoins être dûment justifiées, et respecter le principe de bonne utilisation des deniers publics et l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir une libéralité.

En revanche, le contrat ne peut être modifié sur le fondement des articles R. 2194-7 et R. 3135-7 du CCP relatifs aux modifications non substantielles, dès lors qu’il ressort de l’avis du Conseil d’État que les modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles, même lorsqu’elles ne sont pas substantielles, ne sont pas régies par ces dispositions mais uniquement par les articles R. 2194-5 et R. 3135-5 de ce code. En tout état de cause, les modifications des contrats en cours, même lorsqu’elles sont rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles, ne sont pas de droit pour le cocontractant et ne peuvent être effectuées qu’avec l’accord de l’autorité contractante.

Indemnisation en cas de circonstances imprévisibles

Lorsque le cocontractant de la personne publique est confronté à des pertes anormales provoquées par des circonstances imprévisibles, les parties peuvent aussi choisir, plutôt que de modifier le contrat, de conclure une convention d’indemnisation sur le fondement de la théorie de l’imprévision codifiée au 3o de l’article L. 6 du CCP. Cette indemnité vise à dédommager partiellement le titulaire du préjudice qui résulte de l’exécution du contrat en raison du bouleversement temporaire de l’équilibre économique de celui-ci.

En cas de désaccord entre les parties sur les modifications à apporter au contrat ou sur l’indemnisation à verser au cocontractant, ou si leur accord est insuffisant pour éviter le bouleversement de l’économie des contrats, cette indemnité peut être octroyée par le juge. Qu’elle soit convenue entre les parties ou fixée par le juge, l’indemnisation, qui n’est pas assimilable à une modification du contrat, n’est pas soumise au plafond de 50 % prévu par les articles R 2194-5 et R. 3135-5 du CCP. La condition tenant au bouleversement de l’économie des contrats doit être analysée au cas par cas en tenant compte des spécificités du secteur économique et des justifications apportées par l’entreprise.

Pour la détermination du montant de l’indemnité, la jurisprudence laisse traditionnellement à la charge du titulaire une partie de l’aléa variant de 5 % à 25 % du montant de la perte effectivement subie, en fonction des circonstances et compte tenu des éventuels profits dégagés par l’entreprise dans le cadre du contrat en dehors de la période d’imprévision.

Si le montant définitif de l’indemnité d’imprévision doit être évalué à la fin du contrat, cette indemnité doit, au moins pour partie, être versée le plus tôt possible après le moment où le bouleversement temporaire de l’économie du contrat en affecte l’exécution. Dès lors, dans le cadre d’une convention d’indemnisation, les autorités contractantes peuvent accorder aux entreprises qui en font la demande des indemnités provisionnelles à valoir sur l’indemnité globale d’imprévision, dont le montant définitif ne pourra être déterminé qu’ultérieurement. Cette convention pourra comprendre une clause de rendez-vous dont la périodicité permettra d’adapter le montant des provisions en fonction de l’évolution de la situation économique.

Résiliation du contrat d’un commun accord

L’acheteur peut aussi convenir avec le titulaire de résilier le contrat, soit à effet immédiat, si les prestations en cause peuvent souffrir un retard, soit à effet différé, le temps d’organiser une nouvelle procédure de mise en concurrence aux conditions économiques actuelles. Dans l’hypothèse d’une résiliation différée, le titulaire a droit à une indemnité d’imprévision pour la partie du contrat qu’il lui reste à exécuter, si les conditions sont réunies.

L’augmentation des coûts ne saurait justifier que le cocontractant de l’administration puisse se soustraire à ses obligations contractuelles. Toutefois, il est souhaitable que l’exécution des clauses des contrats prévoyant des pénalités de retard ou l’exécution des prestations aux frais et risques de l’entreprise soient suspendues tant que celle-ci est dans l’impossibilité de s’approvisionner dans des conditions normales. Il faut veiller néanmoins à ce que cette impossibilité résulte bien directement de circonstances extérieures à l’entreprise, et non de ses choix de gestion.

Enfin, lorsqu’ils sont des contrats de droit privé, les contrats de la commande publique peuvent être renégociés en application de l’article 1195 du code civil, « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». Cette renégociation doit être effectuée dans les conditions et les limites prévues aux articles R. 2194-5 et R. 3135-5, ainsi que le cas échéant R. 2194-8 et R. 3135-8 du CCP, telles que précisées ci-dessus.

Circulaire relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières et abrogeant la circulaire n6338/SG du 30 mars 2022 (n6374/SG, mise en ligne le 4 octobre 2022).

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