Contestation d’un marché public par un candidat évincé

Que faire si un candidat demande à voir les éléments confidentiels du dossier d’un autre candidat ?

C’est une affaire complexe qui est soumise à la Cour de justice de l’Union européenne par la Cour suprême de Lituanie. Si complexe que la décision préjudicielle demandée est rendue par la grande chambre de la CJUE. Elle se prononce sur huit questions concernant les marchés publics et portant sur l’interprétation des directives 2014/24/UE et 89/665/CEE, avec trois sujets différents.

À propos du premier de ces textes, on relèvera qu’en vertu de son article 58, l’obligation, pour les opérateurs économiques, de démontrer qu’ils réalisent un certain chiffre d’affaires annuel moyen dans le domaine d’activité concerné par le marché public en cause constitue un critère de sélection relatif à leur capacité économique et financière, au sens du paragraphe 3 de cet article.

Si le pouvoir adjudicateur a exigé que les opérateurs économiques aient réalisé un chiffre d’affaires minimal donné dans le domaine concerné par le marché public en cause, ce paragraphe 3 de l’article 58 et celui de l’article 60 interdisent à un opérateur de se prévaloir des revenus perçus par un groupement temporaire d’entreprises, sauf s’il a effectivement contribué, dans le cadre d’un marché public déterminé, à la réalisation d’une activité de ce groupement analogue à celle qui fait l’objet du marché public pour lequel ledit opérateur entend prouver sa capacité économique et financière.

Recours contre un refus de communiquer des informations confidentielles

Concernant la directive 89/665/CEE, en vertu de ses articles premier et 2, le refus d’un pouvoir adjudicateur de communiquer à un opérateur économique les informations confidentielles présentées par un de ses concurrents constitue un acte susceptible de faire l’objet d’un recours. Lorsque l’État membre concerné impose de former d’abord un recours administratif pour contester une décision prise par un pouvoir adjudicateur, il peut aussi l’imposer avant tout recours juridictionnel contre ce refus d’accès.

En vertu de ce même article premier, ainsi qu’en vertu de l’article 21 de la directive 2014/24/UE, le pouvoir adjudicateur saisi d’une telle demande de communication n’est pas tenu de communiquer ces informations lorsque leur transmission conduirait à enfreindre les règles de protection des informations confidentielles, même si cette demande est présentée dans le cadre d’un recours portant sur la légalité de l’appréciation par le pouvoir adjudicateur de l’offre du concurrent.

Le pouvoir adjudicateur doit mettre en balance le droit du demandeur à une bonne administration avec le droit du concurrent à la protection de ses informations confidentielles, de manière à ce que sa décision de refus ou de rejet soit motivée et que le droit à un recours efficace dont bénéficie un soumissionnaire évincé ne soit pas privé d’effet utile.

Le juge a le droit de consulter les informations confidentielles

En vertu de ces mêmes articles des deux directives, la juridiction nationale saisie d’un tel recours doit également mettre en balance le droit du demandeur à bénéficier d’un recours effectif avec le droit de son concurrent à la protection de ses informations confidentielles et de ses secrets d’affaires. Cela impose que cette juridiction dispose des informations requises, y compris des informations confidentielles et des secrets d’affaires, pour être à même de se prononcer sur leur caractère communicable.

Elle doit procéder à un examen de l’ensemble des éléments de fait et de droit pertinents. Elle doit également pouvoir annuler la décision de refus ou la décision portant rejet du recours administratif si celles-ci sont illégales et, le cas échéant, renvoyer l’affaire devant le pouvoir adjudicateur, voire prendre elle-même une nouvelle décision si son droit national l’y autorise.

En vertu de l’article 57, paragraphe 4, de la directive 2014/24/UE, une juridiction nationale, saisie d’un litige entre un opérateur économique écarté de l’attribution d’un marché et un pouvoir adjudicateur, peut se départir de l’appréciation portée par ce dernier sur la licéité du comportement de l’opérateur économique auquel le marché a été attribué, et en tirer toutes les conséquences nécessaires dans sa décision. En revanche, conformément au principe d’équivalence, elle ne peut relever d’office le moyen tiré de l’erreur d’appréciation commise par le pouvoir adjudicateur que si le droit national le permet.

Le menteur sera puni, pas ses partenaires

Enfin, une réglementation nationale est contraire aux articles 57 et 63 de cette même directive, si elle permet de prononcer une mesure d’exclusion de toute procédure de passation de marché public contre l’ensemble des membres d’un groupement d’opérateurs économiques, lorsqu’un seul opérateur économique membre de ce groupement s’est rendu coupable de fausse déclaration en fournissant des renseignements exigés dans le cadre d’une procédure, sans que ses partenaires n’aient eu connaissance de cette fausse déclaration.

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 7 septembre 2021 (demande de décision préjudicielle du Lietuvos Aukščiausiasis Teismas — Lituanie) — UAB « Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras » (Affaire C-927/19) [Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 58, paragraphes 3 et 4 – Article 60, paragraphes 3 et 4 – Annexe XII – Déroulement des procédures de passation – Choix des participants – Critères de sélection – Modes de preuve – Capacité économique et financière des opérateurs économiques – Possibilité pour le chef de file d’une association temporaire d’entreprises de se prévaloir des revenus perçus au titre d’un précédent marché public relevant du même domaine que le marché public en cause au principal, y compris lorsqu’il n’exerçait pas lui-même l’activité relevant du domaine concerné par le marché en cause au principal – Capacités techniques et professionnelles des opérateurs économiques – Caractère exhaustif des modes de preuve admis par la directive – Article 57, paragraphe 4, sous h), ainsi que paragraphes 6 et 7 – Passation de marchés publics de services – Motifs d’exclusion facultatifs de la participation à une procédure de passation de marché – Inscription sur une liste d’opérateurs économiques exclus des procédures de passation de marchés – Solidarité entre les membres d’une association temporaire d’entreprises – Caractère personnel de la sanction – Article 21 – Protection de la confidentialité des renseignements transmis à un pouvoir adjudicateur par un opérateur économique – Directive (UE) 2016/943 – Article 9 – Confidentialité – Protection des secrets d’affaires – Applicabilité aux procédures de passation de marchés – Directive 89/665/CEE – Article 1er – Droit à un recours effectif] (JOUE C 462, 15 nov. 2021, p. 11).

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