Cette décision conforte et encadre précisément trois droits accordés aux fonctionnaires et agents chargés des contrôles administratifs prévus par le code de l’environnement : le droit de visite, le droit de communication des documents et le droit de saisie.
Jusqu’où vont les droits accordés par le code de l’environnement aux fonctionnaires et agents chargés de contrôler les installations, ouvrages, travaux, opérations, objets, dispositifs et activités régis par ce code ? À l’occasion d’un procès pénal, l’accusé saisit le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité, sans doute pour tenter de faire annuler un contrôle qui lui a été défavorable.
Sa question porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 171-1, L. 171-3, L. 172-5 et L. 172-12 du code de l’environnement, dans leur rédaction issue de l’ordonnance no 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement, et de l’article L. 172-11 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi no 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Droit au respect de la vie privée
Le requérant reproche à ces dispositions de méconnaître le droit au respect de la vie privée et le droit à un recours juridictionnel effectif. D’une part, il soutient que les dispositions relatives aux contrôles administratifs n’entourent d’aucune garantie les droits de visite et de communication reconnus aux agents chargés de la protection de l’environnement. Il considère en particulier que la seule possibilité d’exercer un recours de droit commun postérieurement à la mise en œuvre de ces prérogatives ne constituerait pas une garantie suffisante.
D’autre part, il fait valoir que les dispositions relatives aux contrôles aux fins de recherche et de constatation des infractions au code de l’environnement n’entoureraient pas de garanties suffisantes les droits de visite et de communication qu’elles prévoient, au motif notamment que leur exercice ne serait subordonné ni à l’existence de présomptions ou d’indices rendant vraisemblable la commission d’une infraction ni à l’autorisation du juge. En outre, il dénonce l’absence de toute garantie encadrant le droit de saisie prévu par ces dispositions.
Concilier l’ordre public et le respect de la vie privée
Le Conseil constitutionnel confirme tout d’abord que la mention de la liberté, dans l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, implique le droit au respect de la vie privée. « Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif à valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et le droit au respect de la vie privée. » Ce principe rappelé, les Sages se penchent sur tous les articles contestés.
En matière de contrôle administratif, l’article L. 171-1 reconnaît un droit de visite aux fonctionnaires et agents chargés des contrôles administratifs prévus par le code de l’environnement. Dans ce cadre, ceux-ci peuvent notamment accéder, sous certaines conditions, à des espaces clos et à des locaux accueillant des installations, ouvrages, travaux, opérations, objets, dispositifs et activités régis par ce code, ainsi qu’aux domiciles et à la partie des locaux à usage d’habitation.
La vie privée ne concerne pas les lieux libres d’accès
Les dispositions contestées de cet article prévoient qu’ils ont également accès, à tout moment, aux autres lieux où s’exercent ou sont susceptibles de s’exercer des activités régies par ce code. Elles n’autorisent ainsi les agents à procéder à ces contrôles administratifs que dans les lieux libres d’accès, tels que les espaces naturels ou les terrains agricoles.
Dès lors, eu égard à la nature de ces lieux, ces dispositions ne portent pas atteinte au droit au respect de la vie privée. Par conséquent, les dispositions contestées de l’article L. 171-1 du code de l’environnement, qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
De son côté, l’article L. 171-3 prévoit que les agents chargés des contrôles administratifs disposent d’un droit de communication. Les dispositions contestées précisent qu’ils peuvent se faire communiquer des documents et en prendre copie quel que soit leur support et en quelques mains qu’ils se trouvent.
En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public. En deuxième lieu, ces dispositions limitent le droit de communication des agents aux seuls documents relatifs à l’objet du contrôle et qui sont nécessaires à l’accomplissement de leur mission de protection de l’environnement.
La remise d’un document doit être volontaire
En dernier lieu, elles ne leur confèrent pas un pouvoir d’exécution forcée pour obtenir la remise de ces documents. Il en résulte que la communication d’un document doit être volontaire. La circonstance que le refus de communication des documents demandés puisse être à l’origine d’une sanction pénale ne confère pas une portée différente aux pouvoirs dévolus aux agents par les dispositions contestées (NDLR : c’est tout de même là un moyen de pression proche de l’exécution forcée). Dès lors, ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, et elles sont conformes à la Constitution.
Pour ce qui concerne les contrôles aux fins de recherche et de constatation des infractions, il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le principe de l’inviolabilité du domicile. L’article L. 172-4 confie notamment aux inspecteurs de l’environnement et à certains agents de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics la mission de rechercher et de constater les infractions aux dispositions de ce code.
L’article L. 172-5 prévoit que, à cette fin, ces inspecteurs et agents disposent d’un droit de visite en quelque lieu que ces infractions soient commises. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions. En outre, ce droit de visite n’est reconnu qu’à des agents publics spécialement habilités et aux inspecteurs de l’environnement, commissionnés et assermentés à cette fin.
Des règles strictes pour les visites domiciliaires
Enfin, les agents ne peuvent procéder à des visites que sous certaines conditions qui diffèrent selon la nature des lieux faisant l’objet du contrôle. Dans le cas où la visite se déroule dans un domicile ou un local comportant une partie à usage d’habitation, celle-ci ne peut avoir lieu qu’entre 6 heures et 21 heures, avec l’assentiment de l’occupant ou, à défaut, en présence d’un officier de police judiciaire agissant conformément aux dispositions du code de procédure pénale relatives aux visites domiciliaires, perquisitions et saisies des pièces à conviction.
Dans le cas où la visite se déroule dans un établissement, un local professionnel ou une installation accueillant des activités de production, de fabrication, de transformation, d’utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation, les agents doivent au préalable en informer le procureur de la République, qui peut s’y opposer, et ne peuvent pénétrer dans ces lieux qu’à certains horaires.
Et lorsque la visite se déroule dans d’autres lieux, il ne peut s’agir que de lieux libres d’accès, comme pour l’article L. 171-1, et il ne peut pas en résulter d’atteinte au respect de la vie privée pour la même raison. Dès lors, les dispositions contestées de l’article L. 172-5 ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et sont conformes à la Constitution.
Il en est de même pour l’article L. 172-11, qui permet aux agents de demander la communication, de prendre copie ou de procéder à la saisie de documents de toute nature, quel que soit leur support et en quelques mains qu’ils se trouvent, sans que puisse leur être opposée, sans motif légitime, l’obligation de secret professionnel.
Le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions. Et ce droit de communication des agents est limité aux seuls documents relatifs à l’objet du contrôle et qui sont nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
Comme pour l’article L. 171-3, ils ne bénéficient pas d’un pouvoir d’exécution forcée pour obtenir la remise de ces documents. Il en résulte que seuls les documents volontairement communiqués peuvent être copiés ou saisis.
La circonstance que le refus de communication des documents demandés puisse être à l’origine d’une sanction pénale ne confère pas une portée différente aux pouvoirs dévolus aux agents par les dispositions contestées. Enfin ce droit de visite n’est reconnu qu’à des agents publics spécialement habilités et aux inspecteurs de l’environnement, commissionnés et assermentés à cette fin.
Pouvoir de saisie, mais pas de confiscation
Quant au dernier article objet de la présente décision, le L. 172-12, il est contesté au motif qu’il porterait une atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction. Il accorde un pouvoir de saisie aux agents chargés de rechercher et de constater les infractions au code de l’environnement (NDLR : la saisie n’est pas la confiscation).
Cette saisie peut porter sur l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction, sur les armes et munitions, objets, instruments et engins ayant servi à commettre l’infraction ou y étant destinés, ainsi que sur les embarcations, automobiles et autres véhicules utilisés pour la commission de l’infraction, pour se rendre sur les lieux où elle a été commise ou s’en éloigner, ou pour transporter l’objet de l’infraction.
En application des articles 41-4 et 99 du code de procédure pénale, la personne dont les biens ont été saisis peut en demander la restitution au juge d’instruction au cours d’une information judiciaire et au procureur de la République dans les autres cas.
Il en résulte que la personne faisant l’objet d’une saisie dispose d’un recours lui permettant d’obtenir sa restitution. Cet article ne méconnaît donc pas le droit à un recours juridictionnel effectif. Comme tous les autres articles visés dans la présente décision, il est conforme à la Constitution.
Décision no 2023-1044 QPC du 13 avril 2023 (JO 14 avr. 2023, texte no 44).