Éditorial : 20 % en Espagne

La France recycle environ 1 % de ses eaux usées, et l’Espagne 10 % à 14 %, ce pourcentage variant en fonction des sources. Ce taux important de réutilisation des eaux usées traitées (Réut) chez nos voisins d’outre-Pyrénées s’explique par deux facteurs principaux : un climat plus chaud et plus sec et le développement historique d’une agriculture irriguée, désormais tournée vers l’exportation des fruits et légumes dans toute l’Europe. À l’inverse, la France a jusqu’à présent bénéficié d’un climat nettement plus humide et son agriculture, moins gourmande en eau, pouvait se contenter de puiser dans les milieux naturels.

Mais le changement climatique se fait désormais sentir dans tout le bassin méditerranéen et au-delà. Les deux pays veulent donc développer la Réut à peu près au même rythme : 1,3 % par an. La France espère ainsi parvenir à 10 % en 2030, et l’Espagne à 20 % en 2027. Pour celle-ci, ce devrait être assez simple : les projets correspondants seront financés surtout par le budget de l’État et d’autres fonds publics, comme l’ont été ceux qui sont déjà en service. Les agriculteurs bénéficiaires ne paient que le coût de fonctionnement de ces équipements, sans quoi leurs fraises et leurs salades seraient hors de prix. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement espagnol a annoncé cet objectif de 20 % jeudi dernier, juste avant des élections locales délicates : les électeurs ruraux devraient apprécier une mesure qui ne leur coûtera presque rien.

En France, c’est beaucoup plus compliqué. D’abord, nos normes sanitaires étaient jusqu’à présent plus rigoureuses que celles de l’Espagne ; mais cette question sera désormais réglée à notre avantage, puisque tous les États membres de l’Union européenne devront bientôt respecter le règlement (UE) no 2020/741 du 25 mai 2020 relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau. À peu de choses près, ce sont les mêmes niveaux d’exigence que les nôtres. En revanche, selon le droit en vigueur, la Réut française ne peut pas être payée directement par l’État.

Dans le plan pour l’eau en 53 mesures, aucun objectif chiffré n’a été fixé pour le développement de la Réut, ni aucun financement. La mesure 18 se contente d’annoncer le lancement par l’État d’un appel à manifestation d’intérêt spécifique à destination des collectivités littorales pour étudier la faisabilité de projets de Réut, en partenariat avec l’Association nationale des élus du littoral et le Cérema. Il n’est pas impossible que des aides dédiées soient prévues dans le 12e programme d’intervention des agences de l’eau, qui démarrera en 2025, mais personne n’a encore pris aucun engagement en ce sens. Si les ministres français chargés de l’eau se sont montrés plus diserts ces dernières semaines, en souhaitant le lancement en cinq ans de mille projets de Réut, ils n’ont toujours pas dit un mot sur leur financement.

Dans l’état actuel du droit, de tels projets ne pourraient être financés que par les utilisateurs des eaux usées traitées, par des entreprises qui épurent leurs effluents elles-mêmes, et par les services publics chargés de la dépollution des eaux usées domestiques, avec d’éventuelles aides des agences de l’eau. Or ces services publics et les agences de l’eau sont financés pour l’essentiel par la facture d’eau des usagers domestiques.

Du côté des utilisateurs, le financement sera facile à trouver quand ce sont des collectivités locales, par exemple des îles touristiques ou des espaces verts à arroser, ou des entreprises, par exemple des golfs ou des usines. Mais les exploitants agricoles ne pourront pas assumer l’intégralité des coûts d’investissement et de fonctionnement des systèmes de Réut : comme leurs collègues espagnols, ils ne pourraient pas relever leurs prix au niveau nécessaire. Et tant que cette question du financement ne sera pas réglée, les projets destinés à l’irrigation ne pourront pas se généraliser.

René-Martin Simonnet

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