Éditorial : Anticipation

Quand bien même il pleuvrait sans discontinuer jusqu’au 20 mars, si l’on en coâ les grenouilles, nous ne comblerons pas en deux semaines une année de déficit pluviométrique. Il faudrait au moins un mois de précipitations continues ; et même ainsi, cela ne suffirait pas, parce que la végétation est déjà en train de repartir et qu’elle captera une bonne partie de l’eau qui s’infiltre dans les premiers centimètres du sol. Le niveau des nappes restera donc bas l’été prochain, et il faudra sans aucun doute rationner l’usage de l’eau dans certains territoires.

Si l’on se remémore l’été dernier, sa sécheresse et ses canicules, on peut considérer que le pire avait été évité dans la plupart des départements, grâce aux mesures de limitation des usages édictées par les préfets. Certes, les agriculteurs irrigants ont souffert, mais la plupart avaient anticipé l’évolution défavorable de la situation et organisé leur production en conséquence. Pour voir la différence, il suffit de se rappeler la canicule de l’été 2003, précédée d’un printemps très sec : confrontés du jour au lendemain à des interdictions d’arrosage, les exploitants en étaient réduits à regarder leur maïs et leurs arbres fruitiers sécher sur pied. Une telle situation ne se reproduira pas, même si l’été prochain est aussi sec qu’il y a vingt ans, même si les prochaines semaines ne suffisent pas à remplir les retenues et les bassines : les agriculteurs et les autres utilisateurs professionnels de l’eau se sont adaptés.

En réunissant lundi dernier les préfets coordonnateurs de bassin, et aujourd’hui les préfets de département, le ministre de la transition écologique et sa secrétaire d’État chargée de l’écologie savent qu’ils les envoient tout de même au front. Les discussions seront rudes avec les agriculteurs, qui réclament toujours plus d’ouvrages de stockage. Mais ils seront disposés à négocier en amont les futures restrictions, plutôt que d’envahir les préfectures et les agences de l’eau quand elles seront mises en vigueur. D’ailleurs Christophe Béchu et Bérangère Couillard auront rappelé aux préfets que ces mesures devront être efficaces, proportionnées et graduées ; et surtout annoncées à l’avance aux utilisateurs de l’eau, et modulées finement en fonction de chaque situation ponctuelle et locale. Anticiper d’éventuelles restrictions permet aussi de les atténuer quand elles deviennent nécessaires.

Ce qui passera moins bien, ce seront les limitations d’usage visant les particuliers. Ce seront aussi celles qu’il sera le plus difficile de contrôler : comment empêcher concrètement un citoyen de laver sa voiture, de remplir sa piscine ou d’arroser ses plates-bandes en pleine nuit ? Dans les sondages, tout le monde se dit prêt à économiser l’eau dans l’intérêt commun ; mais dans la réalité chacun se considère comme une exception. La pédagogie et la communication ne suffisent pas, mais la répression est quasiment impossible face à 68 millions de contrevenants.

L’été prochain, nous risquons donc de revoir le spectacle navrant de dizaine de cours d’eau à sec, dans des régions où la nature n’est pas habituée à manquer d’eau. Or les écosystèmes ne savent pas anticiper la sécheresse, et il leur faudra des années pour s’en remettre. Certes, les dispositifs de soutien d’étiage atténueront ces effets, du moins sur les cours d’eau qui en bénéficient. Mais cet hiver, ces réservoirs ne se sont pas remplis partout. Et avec la meilleure volonté du monde, les préfets non plus ne savent pas faire la danse de la pluie.

René-Martin Simonnet

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