Éditorial : Caussade

« Environnementaliste » : dans la bouche du président de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne, cet adjectif est l’injure suprême, et il l’a décerné au tribunal qui l’a condamné le 10 juillet à neuf mois de prison ferme ainsi qu’à la révocation d’un sursis de quatre mois, soit treize mois au total. Son vice-président, Patrick Franken, a reçu pour sa part huit mois fermes, mais aussi la révocation d’un sursis de quatorze mois, soit vingt-deux mois au total. Les deux hommes ont fait appel et ne seront donc incarcérés qu’après le second jugement, s’il confirme ces peines. Leur syndicat agricole, la Coordination rurale, fait bloc autour d’eux et multiplie les opérations de protestation dans le département depuis une semaine, sous l’œil attentif mais aussi attentiste des gendarmes. De son côté, la chambre d’agriculture, citadelle imprenable de ce syndicat, est condamnée à 40 000  d’amende, dont la moitié avec sursis, en tant que maître d’ouvrage.

L’objet du litige est bien évidemment le barrage de Caussade et son lac de retenue, qu’une préfète avait autorisé contre l’avis de sa hiérarchie ; cette autorisation a été rapidement annulée par les ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture, mais la Coordination rurale a fait comme si elle était toujours valable. La chambre d’agriculture a donc réalisé le projet sous l’égide de son président et de son vice-président, portant ainsi atteinte aux milieux aquatiques et à la qualité de l’eau. La justice administrative avait confirmé l’illégalité du chantier et ordonné son interruption et la remise en état des lieux, mais les partisans du barrage ont vigoureusement bloqué une tentative d’un huissier pour apposer les scellés sur les engins de chantier. Une fois le lac rempli, ils ont même obtenu de l’État une dérogation pour en utiliser l’eau cet été, alors qu’une mission d’inspection interministérielle, quoique très conciliante, a pourtant averti que l’ouvrage, mal construit, risquait de céder.

Jusqu’à présent, l’État avait fait profil bas dans cette affaire, en envisageant même une régularisation a posteriori. La condamnation du 10 juillet lui interdit évidemment de poursuivre dans cette voie. Il est très rare que la justice française prononce des peines de prison ferme pour pollution de l’eau et atteinte aux milieux aquatiques. Au-delà de la gravité des délits commis par les condamnés, elle a sûrement voulu punir le gouvernement pour son attentisme ; pour ce motif, il est peu probable que les juges d’appel désavouent entièrement ceux de première instance. Et pour la même raison, on peut prévoir que la justice européenne, saisie par les associations de protection de l’environnement, condamnera la France pour manquement d’État.

Toutes ces procédures prendront encore un certain temps, et les ministères concernés vont sans doute en profiter pour tenter de parvenir à un compromis. Mais les partisans et les adversaires du barrage ont jusqu’à présent refusé tout dialogue, et le jugement du 10 juillet rend encore moins probable l’émergence d’une solution négociée. Au moment où un nouveau gouvernement proclame son attachement à la transition écologique, peut-il considérer comme interlocuteurs crédibles des délinquants condamnés à de la prison ferme pour atteinte à l’environnement ? Non, à moins de tenir la protection de l’eau pour un sujet mineur.

René-Martin Simonnet

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