Éditorial : Consommation

Les gestionnaires de l’eau emploient souvent les concepts de prélèvement et de consommation, en précisant qu’il ne faut pas les confondre. Les prélèvements sont faciles à définir et ne font pas débat : selon la formule simple de Martin Calianno et al., ce sont « les quantités d’eau extraites de l’environnement naturel dans le but de les utiliser ». En revanche, quand il s’agit de définir la consommation d’eau, les définitions les plus diverses fleurissent au fil des textes.

Par exemple, le service des données et études statistiques du ministère chargé de l’environnement (Sdes) explique que « l’eau consommée correspond à la partie de l’eau prélevée non restituée aux milieux aquatiques », tandis que le Centre d’information sur l’eau (CIEau) estime que « la consommation correspond à une quantité d’eau prélevée, réellement consommée, absorbée, qui ne peut être pas renvoyée directement dans la nature après usage ». Selon que l’on adopte l’une ou l’autre définition, on ne considère pas de la même manière l’impact de la consommation sur les milieux aquatiques.

En parcourant la littérature spécialisée, Martin Calianno et ses co-auteurs ont pareillement constaté la diversité des définitions de cette notion, alors qu’elle est fondamentale pour la gestion de l’eau. Ils s’y attendaient, et c’est pourquoi ils ont pris soin de constituer pour cette étude une équipe pluridisciplinaire : un géologue, un géographe, une hydrologue et un économiste. Ce sont surtout ces deux dernières sciences qui divergent à ce sujet.

En hydrologie, on consomme l’eau quand on la retire d’un milieu naturel et qu’on la transfère vers un autre milieu ou une autre masse d’eau, au lieu de la laisser suivre son cours naturel. Par exemple, un prélèvement dans une nappe souterraine suivi de diverses utilisations puis d’un rejet dans un cours d’eau est une consommation dans cette acceptation ; de même qu’un transfert d’eau d’un bassin fluvial vers un autre, ou un pompage en rivière pour alimenter une tour de refroidissement par évaporation en circuit ouvert. Il s’agit donc d’une perte nette portant uniquement sur une quantité, qu’on mesure en soustrayant au volume prélevé le volume restitué dans le même milieu, ce qui correspond à la définition du Sdes.

L’économiste raisonne autrement : pour lui, une consommation est un usage qui épuise ou transforme le bien consommé. C’est pourquoi il considère que l’eau potable, par exemple, est consommée quand elle perd ses caractéristiques sanitaires, indépendamment des volumes puisés et restitués ; cela correspond pour l’essentiel à la définition du CIEau. De même, une eau prélevée pour le refroidissement est consommée quand sa température est modifiée, y compris si elle seulement attiédie avant d’être intégralement rejetée dans le même cours d’eau. L’important est la gravité de la perturbation, ce qu’on mesure à partir de la dépense qui est ou serait nécessaire pour restituer à l’eau perturbée son état antérieur.

Ces deux conceptions peuvent être combinées, comme avec les redevances affectées aux agences de l’eau. Les redevances pour prélèvement sont fondées sur les volumes prélevés, modulés par l’application d’un coefficient censé refléter la consommation réelle de chaque type d’utilisation. Et les redevances pour pollution sont fondées sur des altérations qualitatives, mesurées ou estimées en fonction de la gravité de ces altérations et des volumes d’eau affectés. Toute politique globale de l’eau doit prendre en compte ces deux définitions à la fois, parce qu’elles décrivent deux aspects des impacts anthropiques sur le cycle de l’eau. Par exemple, une retenue sur un cours d’eau ralentit le courant et favorise ainsi l’évaporation, mais aussi l’eutrophisation : un effet quantitatif plus un effet qualitatif égalent deux effets négatifs sur le cours d’eau, donc deux modes de consommation.

René-Martin Simonnet

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