o Éditorial : Contre la montre

Le Parlement est en train de nous jouer une nouvelle version de la fable du lièvre et de la tortue. Cette fois-ci, il s’agit d’une course contre la montre : campagne électorale oblige, la session parlementaire sera suspendue fin février, sauf impondérable majeur, et ne reprendra qu’après l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale. Par conséquent, les députés de la majorité présidentielle s’efforcent de faire adopter définitivement le plus grand nombre possible de textes avant cette échéance. Mais la majorité sénatoriale, aidée par les députés LR, fait à l’inverse traîner la procédure parlementaire autant qu’elle le peut, comme on a pu le constater ces dernières semaines au sujet du projet de loi sur le passe vaccinal.

Ce train de sénateur vise bien entendu à retarder le plus de textes possible, sauf peut-être la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône, afin d’empêcher le gouvernement sortant de présenter un beau bilan législatif en ce début de campagne. Mais il répond aussi à un objectif plus précis : obliger les députés à faire preuve de souplesse lors de la commission mixte paritaire qui doit se réunir le 27 janvier sur le projet de loi 3DS. Si cette réunion se conclut sur un échec, cette loi risque fort de ne pas être adoptée définitivement avant fin février, ce qui la renverrait à la case départ. Ce serait un échec cuisant pour la majorité, qui a souvent présenté ce texte comme l’une des réponses à la crise des gilets jaunes.

Or les divergences entre les deux chambres sont considérables, et le Sénat n’a pas l’intention de céder un pouce de terrain. L’un des principaux points de désaccord est le transfert obligatoire des services communaux d’eau et d’assainissement aux groupements de communes. Les sénateurs veulent absolument abroger cette obligation pour les communautés de communes, voire si possible pour les communautés d’agglomération. Depuis le vote de la loi Notre, cette disposition a soulevé un vif mécontentement chez les maires, qui constituent la majorité des grands électeurs sénatoriaux. Certes, des assouplissements lui ont été apportés depuis 2017, le principal étant un report de cette obligation de 2020 à 2026 ; mais la majorité actuelle n’a pas renoncé à ce transfert décidé par la majorité précédente.

Les partisans et les adversaires de cette mesure présentent, les uns comme les autres, des arguments qui ne manquent pas de pertinence. Les premiers soulignent que des services plus grands peuvent investir davantage et embaucher du personnel plus qualifié. Les seconds mettent en avant la proximité du niveau communal et la nécessité de laisser les élus locaux organiser librement leurs services en fonction des caractéristiques de leur territoire. Mais derrière ces débats se profilent aussi des enjeux de pouvoir locaux, fondés souvent sur des rivalités politiques. Les seuls qu’on n’entend pas dans ce débat sont les principaux intéressés : les gestionnaires directs et les usagers de ces services.

René-Martin Simonnet

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