Éditorial : Des idées ?

En 1848, la troisième pandémie de choléra atteint la France. Le souvenir de la précédente était encore dans tous les esprits, car elle avait durement frappé entre 1832 et 1834, avec 100 000 morts, dont près de 20 000 à Paris en quelques mois. Le bilan de la troisième sera encore plus lourd. Les médecins d’alors l’attribuent à des miasmes, présents dans l’air des quartiers pauvres et dus à l’évaporation de l’eau stagnante et nauséabonde. Il faudra attendre 1884 pour que Robert Koch démontre que le vecteur principal du choléra est l’eau elle-même, et non sa vapeur.

La théorie des miasmes était fausse, mais les remèdes prescrits en 1848 étaient bons : développer les égouts et fournir aux villes une eau plus saine que celle des puits contaminés. Seulement, les pouvoirs publics n’avaient pas les moyens d’appliquer ces remèdes. C’est alors qu’un groupe d’hommes d’affaires, soutenu par Napoléon III en personne, fonde une société, la Compagnie générale des eaux, qui promeut une idée révolutionnaire : une concession rétribuée par la vente de l’eau. Cette première mondiale est appliquée dès 1853 à Lyon. La société réalisera les travaux immédiatement, à ses seuls frais, mais elle vendra en contrepartie l’eau à la ville pendant vingt ans, au tarif de 17 F/m3, ce qui ferait de nos jours environ 70 /m3. C’est un succès. L’expérience sera renouvelée à Nantes, puis à Paris, puis un peu partout, cependant que les sociétés concessionnaires se multiplieront.

Si la concession a réussi sur-le-champ, ce n’est pas en raison d’une expertise sanitaire ou d’un savoir-faire technique : c’est parce que la Générale des eaux apportait une idée inédite pour assurer un financement sur le long terme. Et justement, ce sont les idées qui nous manquent aujourd’hui pour résoudre les nouveaux problèmes qui se posent au monde de l’eau. Voici trois de ces problèmes qui n’ont toujours pas de solution :

quels financements et maîtres d’ouvrage pour préserver les milieux aquatiques et la ressource en eau, au-delà de la petite taxe Gemapi ?

quel montage tarifaire pour développer la réutilisation des eaux usées traitées, au-delà des débouchés à forte valeur ajoutée ?

comment ne plus calculer les recettes des services d’eau et d’assainissement en fonction des volumes vendus, sans pour autant laisser les abonnés consommer sans limite ?

Je ne range ni l’irrigation ni le renouvellement des réseaux parmi les problèmes insolubles, parce qu’ils nécessitent surtout une volonté politique pour utiliser des outils existants : le diagnostic, la négociation et le partage, la réglementation, la tarification, le contrôle et la sanction. Pour l’instant, l’État n’a pas dépassé la première étape, avec ses Assises de l’eau et son Varenne agricole de l’eau. Quant à résoudre les trois problèmes que j’ai cités plus haut, cela ne demande pas des innovations techniques, même si elles seront toujours les bienvenues. Ce qui manque, j’insiste, ce sont des idées nouvelles. Et celles qui sont les mieux placées pour les apporter, ce sont les entreprises du secteur, surtout celles qui sont assez grandes pour les récolter dans le monde entier.

Et des idées, elles n’en manquent pas, notamment dans le cadre de leur organe commun, la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E). C’est par exemple cette fédération qui est à l’origine de la société d’économie mixte à opération unique (Semop) en 2014, même si ce concept a ensuite été porté par un organisme plus généraliste, la Fédération des entreprises publiques locales, pour ménager toutes les susceptibilités.

Car la FP2E tient à sa discrétion, comme me l’a rappelé jeudi dernier son président, Maximilien Pellegrini : « On nous a reproché de nous mettre à la place des décideurs. Maintenant, nous sommes à l’aise dans notre rôle d’experts. Il ne faut pas nous entraîner dans un chemin que nous ne voulons pas suivre. » On peut comprendre cette prudence, quand une partie de l’opinion publique réclame l’éviction de ces entreprises de la gestion de l’eau potable. Mais il faudrait pas qu’elle rendît la FP2E inaudible quand elle voudrait proposer une idée utile à l’intérêt général.

René-Martin Simonnet

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