o Éditorial : Échéancier intenable

Élaborée dans un climat consensuel et optimiste, la directive-cadre sur l’eau (DCE) du 23 octobre 2000 avait fixé un objectif de bon état des eaux superficielles et souterraines dans tous les États membres de l’Europe à l’horizon 2015, avec des reports possibles à 2021, voire à 2027 dans des cas limités.

Elle présentait toutefois un défaut congénital, dont nous subissons et subirons encore longtemps les effets : personne n’avait évalué les dépenses à engager pour remplir cet objectif. En réalité, cette évaluation était impossible en 2000, parce qu’elle nécessitait de connaître le but recherché, à savoir le bon état. Or il n’avait pas été défini dans le texte initial. Il ne l’a été qu’après des années d’études, d’états des lieux originels et de négociations. Dans le même temps étaient publiées des directives-filles sur les eaux souterraines, les inondations, le milieu marin, etc. Tous ces textes étaient nécessaires pour appliquer pleinement la DCE.

Quand on a enfin su où il fallait aller, les quinze années prévues pour parvenir à ce fameux bon état étaient déjà largement entamées. Pour bien faire, il aurait fallu d’abord définir cet objectif final, puis évaluer les dépenses nécessaires, et enfin fixer un calendrier réaliste en fonction de ces deux éléments. Il aurait fallu en outre prendre en compte la durée de réaction des milieux aquatiques, car il ne suffit pas de réaliser des travaux pour que les rivières et les lacs retrouvent sur-le-champ le bon état écologique qui est un élément essentiel du bon état des masses d’eau. Il faut plusieurs années, voire plusieurs décennies, pour que les sédiments relarguent leur pollution, que les frayères et les habitats se reconstituent, et que la flore et la faune aquatiques les recolonisent durablement. Mais on a mis la charrue avant les bœufs.

La DCE fonctionne selon un rythme cyclique de six ans, comme le système français de programmes des agences de l’eau qui l’a largement inspirée. Elle a prévu que le premier cycle commencerait en 2009, en quoi elle a eu raison, car c’est à ce moment-là seulement que tous les éléments nécessaires pour démarrer étaient connus… sauf les prévisions de dépenses et de financement que chaque État membre est libre d’élaborer à sa guise. Mais elle avait décidé que ce premier cycle suffirait, de sorte qu’en 2015 le bon état devait être atteint, sauf cas particuliers. Un deuxième cycle devait alors se dérouler jusqu’en 2021, puis un troisième jusqu’en 2027, et ainsi de suite ; c’est ce qui se passe en effet. Mais au-delà de 2027, on sera censé en avoir fini avec les dérogations. On pourra ensuite fixer des objectifs moins ambitieux que le bon état, mais il faudra les justifier pour chaque masse d’eau, et la Commission répète depuis des années qu’elle examinera très attentivement ces justifications. Et si elle n’est pas convaincue, gare aux sanctions !

Jeudi dernier, un débat organisé par le Cercle français de l’eau portait sur cette échéance de 2027. Les trois orateurs français, des experts reconnus, ont tous laissé entendre que le bon état ne serait pas atteint à cette date, ni même l’objectif fixé par la France de 52 % des masses d’eau en bon état, qui n’est déjà atteint qu’en Corse. Cela n’a pas du tout perturbé l’oratrice de la Commission européenne, Bettina Doeser, cheffe de l’unité « Gestion durable de l’eau douce » à la direction de l’environnement (ENV.C.1). Pour elle, il n’est pas question de réviser le calendrier de la DCE.

Certes, il ne lui appartient pas de prendre position sur ce sujet, puisqu’une telle révision ne pourrait être décidée qu’à l’issue d’une négociation entre les États membres et la Commission, sans doute en 2026. Les experts ont toutefois souligné qu’il faudrait au moins prendre en compte les effets du changement climatique qui réduit le débit des cours d’eau et concentre les pollutions. On peut donc s’attendre à une révision dans les prochaines années, et il est probable que l’échéancier irréaliste du texte initial sera fortement remis en question à cette occasion.

René-Martin Simonnet

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