Éditorial : Et la cinquante-quatrième mesure ?

Prendre de la hauteur : tous les présidents de la VRépublique ont appliqué ou tenté d’appliquer cette recette quand ils se sont retrouvés englués dans une actualité délétère. Emmanuel Macron a choisi de sortir ainsi de la réforme des retraites, en sautant sur le premier sujet de politique nationale qui lui permettait de retrouver une stature présidentielle. Il y avait justement le plan eau qui était prêt. Il aurait dû être présenté par la Première ministre, qui a conduit depuis deux mois tous les arbitrages à son sujet, mais le Président se l’est approprié : Élisabeth Borne est priée de rester à Paris, dans la mélasse de la réforme des retraites. Un fusible n’a pas besoin de prendre de la hauteur.

Et pour aller encore plus haut, le Président est monté jeudi dernier à Savines-le-Lac, modeste village des Hautes-Alpes dont le territoire culmine à 2 260 mètres ; mais il n’a tout de même pas grimpé jusqu’au pic de Morgon, qui domine la commune et le lac de Serre-Ponçon. Il aurait pourtant pu y chercher une inspiration plus aérienne, car ni son discours ni les 53 mesures annoncées pour l’occasion n’ont volé bien haut. On a pataugé dans la tambouille administrative habituelle, bien loin des perspectives générales qu’on attendrait du chef de l’État. Toutefois, il est vrai qu’à l’inverse des IIIet IVRépubliques, la Ve ne fixe aucune limite au champ de compétence de son Président. S’il veut se pencher sur la tarification de l’eau, personne ne peut l’en empêcher. Donc nous avons pris de la hauteur en descendant avec lui dans la trappe du compteur d’eau.

Il y avait tout de même une 54mesure que seul le Président de la République aurait pu annoncer, mais il ne l’a pas fait : modifier la Constitution pour créer, à côté des impositions de toutes natures, une nouvelle catégorie de contributions, les redevances environnementales. L’article 15 de la loi du 16 décembre 1964 l’avait bien tenté pour les agences de l’eau : « L’agence établit et perçoit sur les personnes publiques ou privées des redevances, dans la mesure où ces personnes publiques ou privées rendent nécessaire ou utile l’intervention de l’agence ou dans la mesure où elles y trouvent leur intérêt. » Mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision n82-124 L du 23 juin 1982, a classé par défaut ces redevances dans les impositions de toutes natures. En conséquence, depuis 2006, elles sont soumises au bon vouloir de Bercy, qui a d’autres priorités que la stabilité à long terme de la politique de l’eau.

Emmanuel Macron aurait été vraiment à la hauteur de sa fonction présidentielle s’il avait annoncé jeudi dernier qu’il profiterait d’une prochaine révision de la Constitution pour rendre à ces redevances leur caractère propre. Il aurait même pu en étendre la logique à l’ensemble de la politique de l’environnement. Michel Rocard était un fervent défenseur des agences de l’eau, comme il l’a rappelé dans un discours admirable du 20 mars 1991, et il l’aurait sûrement fait s’il avait accédé à la présidence de la République. Mais il n’a été que Premier ministre, et François Mitterrand se serait fait un malin plaisir de le renvoyer à son statut de subordonné, s’il avait proposé une telle modification. C’est pourquoi la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau ne dit pas un mot sur les agences de l’eau ni sur leurs redevances.

Il est vrai qu’il vaut mieux une majorité solide et soudée pour modifier la Constitution. Emmanuel Macron a donc bien fait de ne pas aborder ce sujet maintenant. Et même parmi les mesures qu’il a annoncées, certaines resteront peut-être sous le coude tant que la composition du Parlement sera ce qu’elle est aujourd’hui. Je pense en particulier à la suppression du plafond mordant sur les budgets des agences de l’eau. Ce mécanisme découle directement de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Il ne peut donc être modifié que par une autre loi organique, ce qui impose, soit un accord entre les deux chambres sur un texte identique, soit une adoption en dernier ressort par la majorité absolue des députés composant l’Assemblée nationale. Ce sera impossible ces temps-ci. Ajoutons qu’au-delà des groupes politiques, la Lolf est fermement défendue par les membres des commissions des finances des deux chambres, en particulier Charles de Courson, celui-là même qui a failli faire tomber le gouvernement Borne le mois dernier.

René-Martin Simonnet

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