o Éditorial : Fuite

Comme 98 % des Français, je suis raccordé à un réseau d’eau potable. Et comme un pourcentage non négligeable de ces usagers chaque année, j’ai été privé d’eau voici deux semaines : une canalisation avait cédé sous mon trottoir, et une vingtaine de logements se sont retrouvés à sec. Plus précisément, la pression a commencé par baisser, ce qui m’a incité à faire quelques réserves. Puis j’ai appelé le service de dépannage du distributeur. Il était environ 20 heures, et j’ai dû attendre un bon moment pour obtenir une réponse. Une réponse décevante : mon interlocutrice m’a demandé avec insistance si j’avais vérifié que mes voisins étaient dans la même situation. Comme je n’en savais rien, elle a noté mon adresse et m’a dit qu’aucun problème n’était signalé dans cette rue et qu’il faudrait attendre le lendemain pour y voir plus clair.

À 21 heures, nouvelle péripétie : l’eau a été coupée. Entretemps, un voisin avait signalé une grosse fuite sous le trottoir, qui envahissait la chaussée, et une technicienne d’astreinte s’était déplacée. Je note au passage qu’il y a dix ans, lors d’un précédent incident un jour de congé, tout le personnel d’astreinte était masculin. Cette fois-ci, j’ai eu affaire en majorité à des jeunes femmes : la féminisation du monde de l’eau est bien devenue une réalité sur le terrain.

Donc la technicienne est venue constater la situation et a estimé, après en avoir discuté par téléphone avec son chef, que la réparation devait être reportée au lendemain : il fallait des moyens acoustiques pour localiser la fuite, plusieurs réseaux passaient sous le trottoir, et surtout la canalisation fuyarde était en amiante-ciment, ce qui imposait un chantier de décontamination très complexe. « Je repasserai vous apporter des packs d’eau en bouteille », m’annonça-t-elle. Vu l’heure, je supposai qu’elle reviendrait le lendemain matin. Je me trompais : à 23 h 30, elle était de retour, avec un collègue, pour déposer ses packs devant chaque porte. Bel exemple de conscience professionnelle et de sens du service public !

Le lendemain, comme promis, la réparation a démarré à 8 h 30, et elle a été effectivement aussi compliquée que prévu. Il a fallu six heures pour rétablir l’eau et encore trois heures de plus pour tout remettre en état et reboucher la rue. Tout cela pour changer trois mètres de canalisation. Il faut dire qu’outre l’eau potable, ce petit bout de trottoir hébergeait l’électricité, l’éclairage public, le téléphone, la fibre optique, la canalisation d’eaux usées et celle d’eau pluviale. Le tout sur un mètre de large et trois mètres de profondeur. On notera qu’à part l’eau potable, aucun de ces services n’a été interrompu par l’intervention.

Quelles leçons peut-on en tirer ? D’abord que cette petite commune, compétente en matière d’eau potable jusqu’à l’an dernier, n’a jamais mis en place une gestion patrimoniale de son réseau. Cette canalisation a été posée voici soixante ans, et personne ne s’est occupé d’elle depuis. À présent que la compétence a été transférée à l’agglomération, on peut espérer qu’elle sera incluse dans un programme de gestion patrimoniale, ce qui devrait conduire à son renouvellement dans un avenir prévisible. La mutualisation a du bon, même si elle a été imposée assez brutalement par la loi Notre.

L’autre leçon concerne le gestionnaire de ce réseau, qui est l’un des grands délégataires français. Son équipe locale d’astreinte et son équipe de réparation ont été remarquables et ont prouvé que le sens du service public et le souci de sa continuité, 24 heures sur 24, n’est pas l’apanage des régies. Par contraste, je me pose des questions sur le professionnalisme de son service d’astreinte téléphonique. Auparavant, il s’agissait d’un service local, mais il a été regroupé dans un central unique, qui couvre au moins toute la région, voire toute la France. Il en résulte qu’il faut au moins dix minutes pour avoir un interlocuteur, et que celui-ci ne semble pas très sensible aux problèmes rencontrés par les usagers, alors même qu’il constitue le premier contact avec eux en cas de mauvais fonctionnement du service. Peut mieux faire.

René-Martin Simonnet

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