o Éditorial : L’Ae en grève

Dans le petit monde très fermé des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, la coutume veut qu’on évite soigneusement les feux de l’actualité : les problèmes de personnes ou d’intendance sont réglés en petit comité, dans les bureaux feutrés des ministères. Mais l’Autorité environnementale (Ae) n’est pas considérée comme appartenant à l’une de ces deux catégories : elle constitue un objet administratif non identifié, rattaché au Conseil général de l’environnement et du développement durable. Est-ce pour cela qu’elle se sent libre de s’exprimer ? Toujours est-il qu’elle vient de taper du poing sur la table et de se mettre en lumière, en refusant de rendre des avis sur six contrats de plan État-région (CPER). Et pour bien enfoncer le clou, elle s’est fendue d’un communiqué de presse expliquant les raisons de ce mouvement d’humeur.

Son président Philippe Ledenvic, ancien directeur adjoint du cabinet des ministres de l’écologie Alain Juppé puis Jean-Louis Borloo, en 2007 et 2008, n’a rien d’une tête brûlée ; mais il y a déjà quelque temps qu’il se plaignait, de plus en plus ouvertement, de l’insuffisance des moyens attribués à l’Ae. En exprimant officiellement son mécontentement en plein débat budgétaire, il met en fâcheuse posture la ministre actuelle de la transition écologique, Barbara Pompili. Sa réclamation porte en effet sur la seule année en cours, et l’on ne peut donc pas se réfugier derrière un hypothétique héritage des gouvernements précédents pour expliquer la situation actuelle.

D’où vient le problème ? Rappelons d’abord que l’Ae rend des avis sur la qualité de l’évaluation environnementale qui accompagne certains projets ou certains plans ou programmes, et sur la prise en compte de l’environnement par ces projets, plans ou programmes. Ces avis visent à permettre d’en améliorer la conception et à favoriser l’information du public et sa participation à l’élaboration des décisions portant sur l’environnement. Il s’agit donc d’appliquer la convention d’Aarhus, à laquelle la France a beaucoup de difficultés à se soumettre.

Jusqu’à présent, l’Ae avait été saisie en moyenne de 110 demandes d’avis par an, portant le plus souvent sur des projets. L’an dernier, à cause de la pandémie, ce nombre était descendu à 85. On pouvait donc prévoir un rattrapage cette année, mais cela a été une véritable explosion, avec 170 saisines dont 78 pour des plans ou des programmes, qui exigent beaucoup plus de travail que les projets. Or l’Ae n’a obtenu aucune rallonge en personnel ni en moyens pour faire face à cette inflation, et rien non plus ne semble prévu pour l’année prochaine. Autrement dit, l’État prétend appliquer pleinement la convention d’Aarhus, mais il ne se donne pas les moyens pour cela.

Ulcérée par cette indifférence, l’Autorité environnementale a d’abord manifesté discrètement sa mauvaise humeur en refusant de rendre un avis sur le programme Interreg Euromed 2021‑2027, dans sa séance du 23 juin, puis en faisant de même le 6 octobre à propos du contrat de plan interrégional du Massif central 2021-2027. Sans résultat.

D’où cette décision inédite, lors de la réunion du 3 novembre : six dossiers de CPER présentés en urgence ont été laissés de côté, et l’Ae a publié un communiqué pour justifier son abstention : l’autorité « ne dispose pas des moyens lui permettant d’instruire tous les dossiers inscrits à la séance. Ayant rendu d’ores et déjà cinq avis sur des dossiers de ce type, et sans critère manifeste permettant de les discriminer, l’Ae a décidé de ne rendre d’avis sur aucun de ces six dossiers, non plus que sur les autres dossiers de même nature inscrits aux prochaines séances. Les pétitionnaires pourront en tant que de besoin se reporter aux recommandations des avis analogues délibérés jusqu’ici. » À ce jour, le ministère n’a pas réagi officiellement. La grève devrait donc se poursuivre jusqu’à nouvel ordre.

René-Martin Simonnet

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