o Éditorial : L’Ae saturée

Commençons par un gros erratum : contrairement à ce que j’ai écrit, le cret n2022-466 du 31 mars 2022 et son arrêté d’application n’ont pas eu pour effet d’augmenter les indemnités attribuées aux membres associés de l’Autorité environnementale (Ae) et de ses missions régionales (MRAe), mais à l’inverse de les diminuer, aussi surprenant que cela puisse paraître. Il en a résulté que tous les membres associés de ces instances ont saisi conjointement le Conseil d’État, pour obtenir l’annulation de ces textes. Si le ministère de la transition écologique voulait faire l’unanimité avec cette décision dont les intéressés n’avaient pas été informés à l’avance, c’est réussi ; mais il l’a faite contre lui.

Cette péripétie ne risque pas d’améliorer l’ambiance au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), dont dépendent les diverses autorités environnementales. Elle risque encore moins d’inciter l’Ae à mettre fin à la grève perlée des avis qu’elle conduit depuis l’automne dernier. En présentant à la presse le rapport annuel de l’Ae, jeudi dernier, son président, Philippe Ledenvic, a détaillé les causes de ce mouvement, qui semble bien parti pour durer. D’un côté, son organisme a connu en 2021 une inflation des demandes d’avis à un niveau jamais atteint. De l’autre, il ne compte plus que 16 membres, au lieu de 17 depuis sa création, parce qu’un poste reste vacant. Et pour ne rien arranger, le décret n2021-837 du 29 juin 2021 a ramené de trois mois à deux mois le délai pour rendre un avis. Un rythme intenable avec certains dossiers qui comptent des milliers de pages. D’où cette question sous-jacente aux propos du président de l’Ae : voudrait-on affaiblir la démocratie environnementale ?

Cette démocratie-là progresse pourtant, à mesure que les porteurs de projet comprennent la démarche « éviter, réduire, compenser » et les apports de l’évaluation environnementale. « Nous constatons un véritable progrès méthodologique, avec de plus en plus de dossiers solides, surtout chez les maîtres d’ouvrage qui nous soumettent des projets au fil des ans, comme la SNCF », se réjouit Philippe Ledenvic. Quand un premier projet a donné lieu à un avis très critique, de tels porteurs de projet, ou leurs bureaux d’études, prennent soin de relever le niveau des suivants, en abordant tous les enjeux. En revanche, dans les plans ou programmes mis à jour, l’Ae ne constate guère de progrès. Par exemple, en matière d’eau, les nouveaux documents sont souvent indigents sur les mesures concrètes visant à réduire la vulnérabilité des milieux aquatiques au changement climatique.

L’Ae n’en a pas moins rempli sa mission, et l’actualité réglementaire lui a même permis de traiter largement un domaine assez nouveau pour elle : celui de l’eau. Pour la première fois en effet, l’organisme a été saisi de tous les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux et de tous les plans de gestion des risques d’inondation, soit 25 avis rendus en quelques mois (car il y en a eu deux pour le Sdage Seine-Normandie). Jusqu’à présent, ces avis relevaient des préfets coordonnateurs de bassin.

Grâce à cette accumulation, l’Ae a pu se faire une opinion globale sur la politique française de l’eau, qu’elle a exposée dans un chapitre entier de son rapport annuel. Elle a aussi été saisie de quelques plans de prévention du risque naturel d’inondation, mais son président préférerait avoir à rendre des avis sur les programmes d’actions de prévention contre les inondation et sur les projets de concession hydroélectrique, qui comportent des mesures opérationnelles. Il l’avait demandé l’an dernier à la ministre de la transition écologique, sans résultat. Il a réitéré cette proposition jeudi dernier.

René-Martin Simonnet

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