o Éditorial : Les déçus de la Deci

La défense extérieure contre l’incendie (Deci), qui repose pour l’essentiel sur les réseaux d’eau et sur des réserves d’eau naturelles ou artificielles, a longtemps été régie par des circulaires. Les élus locaux les trouvaient trop rigides et en demandaient la réforme, parce qu’elles fixaient des règles identiques pour toute la France. Ils ont obtenu satisfaction avec la loi n2011-525 du 17 mai 2011, suivie par des textes d’application conçus comme des poupées russes : un décret no 2015-235 du 27 février 2015, puis un arrêté du 15 décembre 2015 fixant un référentiel national de Deci, puis dans chaque département un règlement départemental de Deci, et éventuellement dans chaque commune ou groupement un arrêté communal ou intercommunal de Deci. En théorie, ce système devait permettre d’adapter avec souplesse les règles nationales aux situations locales.

En pratique, depuis la publication des règlements départementaux en 2016 ou 2017, un grand nombre de communes rurales se trouvent dans une situation encore pire qu’avant, astreintes à respecter des règles draconiennes qui assèchent leurs budgets et les empêchent d’accorder des permis de construire. La Deci est ainsi devenue l’un des principaux thèmes des élections sénatoriales de 2020.

Sous la pression de ses grands électeurs, le Sénat a confié un rapport d’information sur ce sujet à deux de ses membres, Hervé Maurey (Eure, UC) et Franck Montaugé (Gers, SER). Leurs conclusions sont féroces envers l’État, un peu plus modérées à l’égard des préfets et des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), et pleines de compassion pour les élus locaux. On pourrait être tenté de les accuser de partialité, mais personne ne peut les contredire, puisque personne ne dispose à ce jour de la moindre évaluation des effets de cette réforme. Le ministère de l’intérieur vient seulement de lancer la sienne, en découvrant qu’il était incapable de répondre aux questions des rapporteurs.

Sans rentrer dans le détail de ce rapport, on relèvera qu’une des principales critiques, partagée dans de nombreux départements, vise la concertation préalable avec les maires, avant la publication du règlement départemental. Le ministère n’ayant émis aucune directive à ce sujet, les préfets ont improvisé. Certains ont ratissé très large, allant jusqu’à organiser une réunion dans chaque canton ; mais la plupart se sont contentés de discuter avec les associations départementales des maires.

Il semble que ces associations aient mal joué leur rôle de courroie de transmission de l’information, du terrain vers le préfet mais aussi dans l’autre sens. Le sujet est très délicat pour les rapporteurs, mais ils l’évoquent tout de même en quelques lignes, ce qui est inhabituel dans un document sénatorial. En tout cas, une de leurs principales propositions est d’ « instaurer une méthodologie précise et exigeante de concertation des acteurs de la Deci : périmètre, cadre territorial, information à disposition, recueil des avis, suivi des avis, processus itératif et information des élus quant au suivi ».

L’autre proposition centrale est d’ « instaurer une révision quinquennale des règlements départementaux sur la base d’un bilan précis établi en concertation avec l’ensemble des élus », et aussi d’une étude d’impact. Pour l’instant, en effet, une telle révision est facultative et sans périodicité fixe. En attendant, les rapporteurs demandent la réalisation de travaux préalables, à prendre en compte dans une prochaine révision :

« dresser dans chaque département un inventaire exhaustif des points d’eau incendie (PEI) de toute nature, selon leur caractère permanent ou saisonnier, pour permettre l’élaboration de règles les moins contraignantes possible » ;

« intégrer les moyens des Sdis et leur évolution possible dans les arbitrages à rendre avant l’élaboration des règles de Deci dans les départements, pour choisir une solution présentant une répartition optimale des coûts entre les Sdis et les communes » ;

« mettre en cohérence le règlement départemental de Deci et le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (Sdacr) et faire coïncider leur révision quinquennale ».

D’autres propositions, plus techniques, concernent le transfert éventuel de la police spéciale de Deci vers les syndicats des eaux exerçant déjà la compétence de Deci, la mutualisation des achats, l’individualisation des dépenses de Deci dans la nomenclature budgétaire et comptable M. 14, la déclinaison du règlement départemental en fonction des caractéristiques des territoires, la prise en compte de la Deci dans les documents d’urbanisme, l’ouverture de crédits pour la Deci dans le plan France relance et dans la dotation d’équipement des territoires ruraux, le contrôle du débit des PEI par les Sdis, etc. Et si l’État ne réagit pas assez vite, les rapporteurs déposeront une proposition de loi reprenant leurs demandes.

René-Martin Simonnet

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