o Éditorial : Objectif ou principe ?

Pour la seconde fois de son quinquennat, Emmanuel Macron va sans doute renoncer à réviser la Constitution. La première révision, très ambitieuse, avait été coulée par l’affaire Benalla. Cette fois-ci, il s’agirait juste d’ajouter une phrase à l’article premier de la loi fondamentale, en reprenant telle quelle une proposition de la convention citoyenne pour le climat : la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Mais la campagne pour la prochaine élection présidentielle a déjà commencé. Si l’Assemblée nationale a adopté cette phrase telle quelle, après des débats confus et hauts en couleur, la majorité sénatoriale l’a réécrite afin d’embarrasser le parti présidentiel, pour des raisons de procédure. Comme le chef de l’État a choisi la voie référendaire, le texte doit en effet être au préalable adopté à l’identique dans les deux chambres. Compte tenu de cette divergence initiale, et même si l’on parvenait un jour à un texte commun, ce serait trop long pour permettre d’organiser un référendum avant le printemps prochain.

Au-delà des petits calculs politiciens, il est intéressant de se pencher sur les arguments échangés au Sénat le 10 mai : il est en effet possible que cette révision revienne sur la table après les élections de 2022. Selon l’argumentation du garde des sceaux, Éric Dupont-Moretti, cette formule vise à « rehausser la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels ». Elle irait ainsi au-delà de la Charte de l’environnement de 2004. Pourtant, grâce à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce texte a déjà érigé la protection de l’environnement comme un objectif à valeur constitutionnelle.

Mais le ministre de la justice a estimé qu’un tel objectif ne comporte qu’une obligation de moyens et nécessite normalement, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur. À l’inverse, si la préservation de l’environnement est inscrite dans le texte même de la Constitution, elle deviendra selon lui un principe à valeur constitutionnelle, autrement dit une règle dont le caractère impératif sera renforcé par l’emploi du verbe « garantir ». Il n’y voit toutefois pas une obligation de résultat stricto sensu, mais plutôt une obligation de moyens renforcée, une « quasi-obligation de résultat ».

Sur ce dernier point, essentiel, l’analyse du rapporteur du Sénat, François-Noël Buffet (Rhône, LR), était diamétralement opposée : « Les objectifs de valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative : les pouvoirs publics ont l’obligation de les mettre en œuvre ou de contribuer à leur réalisation. » Quant à la notion de quasi-obligation de résultat, il fit remarquer qu’elle n’avait aucun contenu défini en droit : « Il faudrait nous dire précisément, si tel était le cas, quel contenu est donné à la nouvelle obligation que votre texte instaurerait, quelles juridictions seraient chargées de la faire respecter, quelle serait la charge de la preuve. » Devant une telle incertitude, le Sénat a choisi de remplacer l’expression « garantit la préservation de l’environnement » par l’expression « préserve l’environnement », ce qui est beaucoup plus neutre.

Ces arguties sémantiques n’ont pas du tout convaincu Alain Richard (Val-d’Oise, RDPI), un des plus brillants juristes du Parlement : « Cette réforme constitutionnelle […] présente un caractère proclamatoire et, à mon avis, peu productif. […] Il faut distinguer, d’une part, la Constitution et, de l’autre, l’action publique. En l’occurrence, il s’agit de défendre la biodiversité et de prévenir le changement climatique. Cette action est multiforme. Elle fait l’objet de recherches permanentes. Elle est également négociée. Elle exige un approfondissement scientifique constant, qui est loin d’être terminé : en la matière, il n’y a pas de vérité révélée. […] Pour lutter contre le changement climatique, il faut mener des politiques industrielles, agricoles ou encore d’aménagement. Vouloir résumer et contraindre l’ensemble de ces initiatives par un seul terme, en l’occurrence celui de “garantit”, est contre-productif. […] Ce serait, de surcroît, commettre une erreur profonde quant au rôle d’une Constitution. » On ne saurait mieux dire.

René-Martin Simonnet

Retour