Éditorial : Quelle rentabilité ?

Malgré les beaux discours, les réalités économiques ont la vie dure. Si la réutilisation agricole des eaux usées traitées ne s’est pas généralisée en France, c’est d’abord parce que l’administration s’y est longtemps opposée, échaudée par les pratiques désastreuses du siècle dernier. Quand on avait constaté que les eaux usées brutes de Paris étaient riches en nutriments, on s’était mis à les déverser telles quelles sur les meilleures terres de l’Île-de-France ; mais comme on ignorait tout des effets des métaux lourds, on a ainsi pollué durablement des centaines d’hectares. Cela ne risque pas de se reproduire, puisque les eaux usées traitées doivent désormais subir avant leur réutilisation un traitement complémentaire, adapté à leurs caractéristiques et aux usages prévus. Mais précisément, cette précaution indispensable peut entraîner un surcoût important que les agriculteurs ne sont pas disposés à payer, sauf en cas de déficit hydrique récurrent.

Le décret paru vendredi dernier concerne donc tous les autres usages de ces eaux. L’État espère ainsi trouver rapidement de nouveaux d’utilisateurs plus intéressés par la beauté du geste environnemental que par son coût. En 2020, en conclusion des Assises de l’eau, il s’est en effet un peu vite engagé à tripler en volume la réutilisation des eaux usées traitées d’ici à 2025. Ce pari est sans doute déjà perdu, car le présent décret ne suffit pas : il faudra encore au moins un arrêté interministériel pour l’appliquer. Ensuite, il faudra trouver des utilisateurs non agricoles, négocier le partage des coûts, élaborer des projets de réutilisation, obtenir les autorisations préfectorales et réaliser les équipements de traitement et d’utilisation. Donc non, le volume ne triplera pas d’ici à 2025. Mais si on laisse de côté ce détail calendaire, on peut espérer y parvenir un jour.

La question du coût risquera toutefois de redevenir un frein, car les usages possibles ne sont pas légion, surtout à proximité des stations d’épuration. Et s’il faut, en plus du traitement complémentaire, poser une canalisation dédiée avec des postes de relevage, des points de prélèvement de l’eau et d’autres équipements annexes, le surcoût fera reculer même les maires écologistes. Le décret de la semaine dernière exige fort à propos que la demande d’autorisation précise les conditions économiques de réalisation du projet, et que le rapport annuel d’exploitation comporte un bilan des dépenses et des recettes et une analyse coûts-bénéfices.

Une fois retombé l’élan initial des cinq premières années, ces éléments risquent d’être déterminants dans la décision de demander ou non une nouvelle autorisation. L’eau transportée vers une station spatiale coûte 15 000  le litre, et sa réutilisation est donc toujours rentable. Mais sur le sol français, l’équation économique est toute autre, et la rentabilité des projets sera acrobatique dans la plupart des régions, surtout si le coût de l’énergie continue à augmenter.

René-Martin Simonnet

Retour