o Éditorial : Qui paiera demain ?

Dans le foisonnant paysage fiscal français, les redevances des agences de l’eau restent des objets à part, même si le Conseil constitutionnel les a « rangées parmi les impositions de toute nature », dans un considérant de sa décision n82-124 L du 23 juin 1982. Ce rangement n’était pas évident, si l’on se réfère au texte qui les a créées, à savoir le cinquième alinéa de l’article 14 de la loi n64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution : « L’agence établit et perçoit sur les personnes publiques ou privées des redevances, dans la mesure où ces personnes publiques ou privées rendent nécessaire ou utile l’intervention de l’agence ou dans la mesure où elles y trouvent leur intérêt. »

Dans l’esprit du législateur de 1964, les agences de l’eau, alors appelées agences financières de bassin, avaient vocation à intervenir directement dans la gestion de l’eau. Mais comme il a renoncé à en faire des maîtres d’ouvrage, leurs interventions se sont toujours limitées à des aides financières. S’il était allé plus loin, ces redevances auraient pu être rangées parmi les redevances pour service rendu.

Sur les sept redevances d’aujourd’hui, deux se distinguent par leur rendement : la redevance pour pollution de l’eau, avec 1 091 M perçus en 2020, et la redevance pour modernisation des réseaux de collecte, avec 540 M. Soit à elles deux 74,6 % du total prélevé sur les redevables. Leurs modalités ont été critiquées en 2018 par une mission interministérielle, ce qui a conduit les ministères compétents à ouvrir un chantier de réforme qui devrait aboutir avant le début des 12es programmes d’intervention des agences de l’eau, en 2025. Un avant-projet a été présenté le 4 juin à un certain nombre d’acteurs de l’eau. La presse a été tenue à l’écart, mais elle sait faire son métier.

Les principes fondateurs de cette réforme semblent difficilement contestables : une meilleure prise en compte du principe pollueur-payeur, un renforcement de la solidarité urbain-rural et une amélioration de la gestion patrimoniale des réseaux d’eau potable. Mais comme le diable se cache dans les détails, les modalités prévues pour appliquer ces principes suscitent de nombreuses questions. Beaucoup de ces modalités sont encore susceptibles d’évoluer, et nous n’évoquerons ici que les deux points qui nous semblent le plus problématiques. D’ici à 2025, nous aurons le temps de reparler des autres.

À l’origine, la redevance pour pollution d’origine domestique devait être payée par les gestionnaires des ouvrages de dépollution des eaux usées : en 1964, c’était assez logique, compte tenu de l’état rudimentaire, voire inexistant, de la plupart des stations d’épuration. Mais en 1974, un compromis entre l’État et l’Association des maires de France (AMF) a transféré cette charge aux usagers abonnés à l’eau potable, et sa gestion aux agences de l’eau. C’était alors plus simple pour tout le monde, mais on perdait ainsi la principale raison d’être de cette redevance : inciter les gestionnaires des eaux usées à réduire les rejets polluants. La réforme actuelle prévoit de revenir à la situation initiale, ce qui obligera les nouveaux redevables, donc les services publics d’assainissement, à calculer la contrepartie due par chaque abonné à l’eau potable. Un certain nombre d’acteurs de l’eau ont déjà protesté contre cette perspective ; l’AMF ne s’est pas encore exprimée.

Quant à la redevance pour modernisation des réseaux de collecte, qui a changé plusieurs fois de dénomination, elle est perçue sur les abonnés usagers de l’assainissement collectif, en fonction de leur consommation d’eau potable. En sont donc exonérés les particuliers équipés d’un dispositif d’assainissement non collectif et les industriels qui traitent leurs effluents eux-mêmes. La réforme prévoit d’affecter son produit à la mise aux normes, à la réhabilitation et à la gestion patrimoniale des réseaux d’eau potable, puisque l’État s’est montré jusqu’à présent incapable de dégager des ressources pour ces travaux. Tous les usagers abonnés à l’eau potable deviendraient redevables, et l’on commence déjà à entendre le mécontentement de ceux qui y échappent encore. Il faudra en outre préciser comment cette redevance pourra continuer à financer la mise aux normes des réseaux d’assainissement.

René-Martin Simonnet

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