Éditorial : Réut ?

Si vous voulez vous faire des amis à la fois chez les agriculteurs et chez les gestionnaires de l’eau, vous n’avez qu’à prononcer un petit mot, un simple sigle : Réut. La réutilisation des eaux usées traitées est un des rares sujets qui fasse l’unanimité dans ces deux secteurs d’activité, alors que toutes les autres questions portant sur l’eau sont plutôt sources de tension entre eux ces temps-ci. C’est aussi un sujet à la mode, depuis qu’un règlement européen lui a fixé un cadre commun et impératif pour tous les États membres. La France a d’abord emboîté le pas avec une certaine prudence, mais elle s’y est convertie à l’occasion du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique.

Au-delà des discours et des projets, il demeure une incertitude, cruciale pour le succès de la Réut auprès des agriculteurs : de quel œil le consommateur français verra-t-il sa laitue s’il apprend qu’elle a été copieusement arrosée avec des eaux usées, même traitées ? Eh bien, d’un très bon œil, si l’on en croit le dernier baromètre annuel réalisé par Kantar pour le Centre d’information sur l’eau. Cette édition a été largement influencée par la sécheresse et la canicule que nous avons vécues l’an dernier. Ainsi, 83 % des sondés pensent que le changement climatique pourrait avoir un impact sur le manque d’eau ou la sécheresse. Et 33 % d’entre eux pensent qu’ils manqueront d’eau dans leur région d’ici à vingt ans, contre 24 % l’année précédente.

Depuis 2019, le baromètre se penche aussi sur l’opinion des Français à l’égard de la Réut. Toutefois, il aborde ce sujet en le mettant à la portée des gens ordinaires, et non dans une optique professionnelle. La question posée est en effet : « Accepteriez-vous d’utiliser une eau du robinet issue du recyclage des eaux usées ? » Pour les usages domestique, comme l’hygiène, les sanitaires ou le nettoyage, l’acceptation est massive : 87 % entre 2019 et 2021, 86 % en 2022. Pour consommer des légumes arrosés avec des eaux usées dépolluées, les réponses sont un peu plus hésitantes, variant de 78 % à 81 % de oui selon les années, mais on voit qu’elles restent très largement positives.

Alors, tout baigne ? Pas tout à fait : il est très probable que la question posée et la question comprise ne sont pas la même. Depuis le lancement du baromètre, la moitié des sondés assurent en effet chaque année que leurs eaux usées sont retransformées en eau potable. Et cette réponse erronée est en progression : 53 % en 2021 et 56 % en 2022. Plus grave, 13 % des sondés (contre 7 % en 2021) sont persuadés que leurs eaux usées sont rejetées telles quelles dans les milieux aquatiques. Il n’y a donc plus que 31 % de Français qui répondent qu’elles sont traitées dans des usines de dépollution avant d’être rejetées dans les milieux naturels. Pour une large majorité des gens, la Réut ne serait donc qu’une nouvelle dénomination d’une pratique ancienne.

Ce score catastrophique est dû en partie au vocabulaire utilisé par les gestionnaires de l’eau. Quand on parle de petit cycle de l’eau pour désigner les opérations allant du captage des eaux brutes au rejet des eaux usées dépolluées, on commet une imprécision, puisqu’il ne s’agit pas d’un processus fermé, d’un cycle à proprement parler. Et quand on parle de station d’épuration, on donne à penser que l’eau qui en sort est pure. Ces deux expressions devraient être définitivement bannies du langage. Et si demain les usagers rechignent à payer la part assainissement de leur facture d’eau, il faudra en chercher la raison dans cette méconnaissance persistante du rôle de la dépollution des eaux usées.

René-Martin Simonnet

Retour