o Éditorial : Sans importance

Le rôle principal d’une constitution est de répartir les pouvoirs entre différents organes politiques et d’organiser les relations entre ces organes. Elle peut aussi énumérer les principes qui régissent l’État dans lequel elle s’applique, et que ces organes doivent respecter. Elle doit être assez précise pour obliger chaque organe à se cantonner dans son rôle, mais elle ne doit pas rentrer dans des points de simple administration.

Parmi les nombreux textes de cette catégorie qui ont jalonné l’histoire de France, le pire fut celui du Directoire, la Constitution du 5 fructidor an III, qui fixait dans les moindres détails le protocole et la rémunération dont bénéficiait chaque organe : « Chaque membre du Directoire se fait accompagner au dehors de deux gardes. […] Le traitement de chacun d’eux est fixé, pour chaque année, à la valeur de cinquante mille myriagrammes de froment (dix mille deux cent vingt-deux quintaux). » Soit 500 tonnes de blé, qui était alors le seul moyen de paiement disponible et stable.

Les constitutions ont vocation à être pérennes, certes, mais l’expérience a démontré qu’il fallait pouvoir les modifier assez facilement. Là encore, celle du Directoire a servi de contre-exemple : comme il était presque impossible de la réviser, les organes politiques ont résolu leurs différents par une série de coups d’État. C’est pourquoi la Constitution du 4 octobre 1958, qui régit la Ve République, a prévu dans son article 89 deux procédures de révision assez souples, l’une par référendum, l’autre par un vote du Congrès. En pratique, la voie du référendum est restée exceptionnelle depuis 1958.

Le programme initial de l’actuel Président de la République prévoyait une révision importante, envisagée par la voie du Congrès. La grotesque affaire Benalla l’a fait capoter. Je m’en réjouis, car j’étais contre ce projet ; mais j’admets sans peine qu’il se serait agi d’une véritable réforme, cohérente avec les objectifs de la majorité présidentielle. Par la suite, pour répondre à la crise des gilets jaunes, Emmanuel Macron a réuni une convention citoyenne sur le climat, qu’on peut considérer au choix comme une ébauche de démocratie directe ou comme un exercice démagogique. Cet organisme sui generis a proposé notamment de compléter l’article premier de la Constitution par une petite phrase : la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Il y a vingt ans, cette phrase aurait été révolutionnaire, car ce sujet était encore absent de la Constitution. Mais depuis, la Charte de l’environnement a changé la donne. Au fil des ans, le Conseil constitutionnel lui a donné une valeur croissante et un champ d’application de plus en plus large, incluant désormais la lutte contre le dérèglement climatique qui ne figure pourtant pas dans son texte. La modification proposée de l’article premier n’y aurait sans doute rien ajouté, d’autant moins que le garde des sceaux a bien précisé, au fil des débats parlementaires, qu’il n’en résulterait pas une obligation de résultat, mais seulement une « quasi-obligation de résultat », un concept inconnu des juristes.

Devant les divergences persistantes entre la majorité présidentielle et la majorité sénatoriale, le Président de la République vient de renoncer aussi à cette révision de la Constitution, qu’il prévoyait par référendum. Cela ne dérangera pas grand-monde : ni la droite ni le centre n’espèrent plus rallier les voix écologistes lors des élections de 2022. Et d’ailleurs, ces électeurs-là ne se seraient pas prononcés, au second tour de la présidentielle, en fonction de l’adoption ou non de cette phrase. Quant à la protection de l’environnement, je le répète, elle est beaucoup mieux assurée par le texte très détaillé de la Charte de l’environnement. L’abandon de cette révision n’est donc qu’une péripétie sans importance.

René-Martin Simonnet

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