Éditorial : Sommet

Épuisée par la sécheresse de 2022 qui déborde sur 2023, la France retrouve un vieux réflexe : demander à l’État de résoudre tous les problèmes. C’était déjà ce que faisaient les Égyptiens quand la crue du Nil était trop faible. Mais le Président de la République n’a pas la ressource d’invoquer Hâpy ou Osiris. En cas de crise, la solution moderne consiste à présenter un plan visant à la dénouer. Par conséquent le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, et sa secrétaire d’État chargée de l’eau, Bérangère Couillard, avaient annoncé qu’ils présenteraient un plan Eau dans le cadre du Carrefour des gestions locales de l’eau, le 25 janvier à Rennes.

En fin de compte, ils ne sont pas venus et nous n’avons vu d’eux qu’une vidéo sans intérêt. Motif officiel : le plan Eau sera présenté par la Première ministre en personne, courant mars. Motif probable : le monde de l’eau et celui de l’agriculture n’ont pas réussi à s’accorder sur ce plan, et Matignon a repris le dossier pour procéder aux arbitrages nécessaires. Le bruit a ensuite couru qu’Élisabeth Borne en ferait l’annonce le 22 mars, à l’occasion de la journée mondiale de l’eau, ce qui permettrait à Christophe Béchu et à Bérangère Couillard de le présenter ensuite à New York, lors du sommet mondial de l’eau réuni au siège de l’ONU. Mais la France a eu d’autres soucis avec sa réforme des retraites, et le plan Eau n’a toujours pas été annoncé ; on entend plutôt parler de remaniement ministériel. La seule actualité hexagonale en matière d’eau, ces derniers jours, a été la bataille rangée autour du chantier de la bassine de Sainte-Soline. Pas de quoi se vanter à l’ONU…

Car ce sommet mondial vise à intégrer l’eau dans le système onusien, qui est très rigide et fonctionne en vase clos. Certes, il existe depuis bientôt trente ans une manifestation internationale sur ce sujet, le Forum mondial de l’eau, qui se réunit tous les trois ans et dans lequel la France joue un rôle majeur. Mais ses organisateurs n’ont jamais réussi à faire prendre en compte leurs débats et leurs résolutions par le système onusien. Reproduire cette manifestation dans le cadre de ce système était l’un des principaux objectifs de Gérard Payen, une figure française du monde de l’eau qui a été pendant longtemps le conseiller pour l’eau du secrétaire général des Nations unies. Son objectif s’est concrétisé la semaine dernière, mais il n’est plus en poste et l’idée a été reprise par les Pays-Bas, un concurrent redoutable de la France en matière d’eau à l’international.

Dans son rapport public annuel pour 2023, que nous évoquerons dans un prochain numéro, la Cour des comptes reproche à la France d’avoir perdu le fil conducteur de la décentralisation : depuis une douzaine d’années, des lois disparates et parfois contradictoires ont remplacé les réformes cohérentes et progressives de 1982 et de 2008. Le même reproche pourrait viser la politique de l’eau depuis quelques années. Au lieu d’un projet global et cohérent, on a eu droit à des Assises nationales de l’eau, limitées à quelques sujets, puis à un Varenne agricole de l’eau, également partiel, et maintenant à un plan Eau qui pourrait être présenté jeudi. Et des mesures de circonstance sont adoptées au fil des lois, des décrets, voire des circulaires. Au moment où l’ONU commence à élaborer une stratégie pour l’eau, la France, jadis pionnière dans ce domaine, semble incapable de prendre la hauteur nécessaire pour revenir au sommet et redevenir un exemple.

René-Martin Simonnet

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