Éditorial : Utopie

En politique, on n’aime pas trop évoquer ses échecs. Au mieux, on les noie dans des perspectives plus larges ou on reporte les échéances initiales, en espérant que la situation se rétablira d’ici là. C’est exactement ce qui est arrivé au plan Écophyto 2018 : alors qu’il avait été lancé en 2008 avec l’ambition de réduire de moitié l’usage des pesticides en dix ans, on a bien dû constater au bout de quelques années que les tonnages continuaient à augmenter. Il a donc été transformé en un plan Écophyto 2, qui reporte cet objectif à 2025.

Pour l’instant, cette nouvelle échéance semble tout autant compromise. Certes, l’indicateur du nombre de doses unités (Nodu), qui est le plus pertinent pour suivre cette évolution, a connu une baisse marquée en 2019, avec 78,8 millions d’hectares (Mha), soit pour la première fois une baisse réelle par rapport aux 90 Mha de 2009 ; mais c’est sans doute dû aux achats considérables réalisés en 2018, avant une augmentation des taxes sur les pesticides. Les données provisoires pour 2020 indiquent déjà une remontée, même si c’est à un niveau inférieur. Le seul vrai succès est la baisse des substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, et surtout des plus dangereuses, appelées CMR 1 : elles sont passées de 10 Mha en 2009 à 2,8 Mha en 2019.

Deux articles de la revue Sésame, qui a succédé au Courrier de l’environnement de l’Inra, analysent les raisons de cet échec et les chances de sauver Écophyto ; nous en évoquons ici les plus évidentes. Le premier facteur est l’augmentation continue des surfaces agricoles françaises en grande culture, au détriment des pâturages qui nécessitent moins de traitements. Le changement climatique est également en cause, parce qu’il favorise les grandes cultures dans de nouvelles zones, mais aussi parce que des hivers moins rudes assurent une meilleure survie des ravageurs de toute nature. Un autre facteur, spécifique aux herbicides, est la baisse de l’emploi agricole : pour obtenir le même résultat, on va nettement plus vite avec un pulvérisateur qu’avec une bineuse ou une charrue.

Une cause moins évidente, mais sans doute la plus importante, est la généralisation des grandes surfaces en libre service : les clients qui choisissent eux-mêmes leurs fruits et légumes laissent dans les rayons ceux qui présentent un défaut apparent, même s’ils sont fondamentalement aussi bons que les autres. Les produits issus de l’agriculture biologique échappent à ce réflexe, mais ils ne représentent qu’une faible fraction de la consommation française. Les discours qui prévoient une demande de 20 % de produits bios en 2025 ne sont pas en phase avec l’évolution constatée du marché, même en escomptant une hausse des commandes publiques. Or c’est bien le consommateur final qui décide, à condition d’être assez informé. Lui seul peut choisir d’acheter des aliments dont la production a nécessité peu ou pas de pesticides ; mais il devra accepter de payer le surcoût correspondant. Sans cela, la concurrence mondiale réduira les programmes comme Écophyto à une aimable utopie.

René-Martin Simonnet

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