o Éditorial : Vanne mal fermée

Les sportifs de haut niveau hébergés à l’Insep ont été victimes d’une contamination de l’eau du robinet par de l’eau non potable. En cause : des opérations réalisées par un service de la ville de Paris, mais aussi une mauvaise connaissance des réseaux d’eau dans le bois de Vincennes. À dix-huit mois des jeux Olympiques, cet incident altère l’image de la capitale au sein du monde sportif.

Depuis 1975, les sportifs français de haut niveau sont entraînés et préparés dans un établissement public sans équivalent, l’Insep. Ce sigle a recouvert plusieurs dénominations successives, mais personne ne les utilise. Donc l’Insep est installé à Paris, dans le bois de Vincennes, et les futurs champions tricolores y sont bichonnés comme des coqs en pâte. Outre les meilleures installations sportives et les meilleurs entraîneurs, ils bénéficient d’un confort de vie très appréciable, d’une armée de diététiciens et d’une équipe médicale qui pourrait s’aligner pour d’hypothétiques championnats du monde de médecine sportive. Je peux en témoigner pour en avoir bénéficié ponctuellement à l’occasion d’un accident, quand mon épouse y était médecin.

La santé de ces pensionnaires précieux est surveillée comme le lait sur le feu, aussi bien préventivement que curativement. Mais voilà-t-il pas que, le 3 février dernier, une épidémie de vomissements et de diarrhées s’est abattue sur une partie des sportifs et du personnel. Pire que tout, certains ont dû renoncer à participer à des compétitions. La brutalité de cet événement a très vite conduit à incriminer l’eau du robinet, qui n’avait jamais posé de problème jusqu’à présent. Par mesure de précaution, la consommation de cette eau a été interdite dans l’enceinte de l’établissement pour la boisson et la cuisine : l’Insep boit désormais de l’eau en bouteille et se fait livrer les repas.

Le contrôle du réseau intérieur n’ayant rien donné, il a fallu rechercher plus loin l’origine de la contamination. L’institut est alimenté en eau par Eau de Paris, et aucun cas n’a été signalé à cette époque dans le reste de la ville. L’enquête a été complexe, compte tenu du nombre de réseaux d’eau qui s’entrecroisent autour de l’Insep. Il y a le réseau d’eau potable (EP) d’Eau de Paris, celui du Syndicat des eaux d’Île-de-France qui ne dessert personne à cet endroit mais qui traverse le bois de Vincennes, et deux réseaux gérés par la direction des espaces verts et de l’environnement de la ville de Paris (DEVE) : un réseau d’EP pour desservir le Parc floral de Paris, et un réseau d’eau non potable (ENP). Ces quatre réseaux se croisent notamment à proximité du rond-point où la route du Champ-de-Manœuvre rejoint la route de la Pyramide, et c’est là que le problème a été découvert.

Selon Eau de Paris, cet incident sanitaire est dû à une conjonction de facteurs tout à fait inédite. À l’origine, voici un certain temps, il y a sans doute eu une négligence : une canalisation privée d’eau potable du Parc floral a été transformée en canalisation d’ENP, mais on a omis de supprimer sa connexion antérieure avec le réseau d’EP. Puis, en janvier dernier, une fuite a été détectée sur une bouche de lavage ou d’arrosage alimentée par le réseau d’ENP. Pour en permettre la réparation, et en même temps la maintenance du surpresseur alimentant le réseau d’ENP, la DEVE a décidé de fermer plusieurs vannes, dont celle qui continue à connecter les réseaux privés d’EP et d’ENP. Mais cette dernière s’est bloquée avant d’être hermétiquement fermée, et cet incident n’a apparemment pas été détecté, et en tout cas pas signalé.

Une fois que la maintenance et la réparation ont été effectuées, le surpresseur de l’ENP a été remis en marche, le 30 janvier. Mais il était réglé pour une pression de 7 bars, alors que le réseau d’EP d’Eau de Paris ne présente en ce point qu’une pression de 4,5 bars. Grâce à cette différence de pression, l’ENP a ainsi commencé à passer par la vanne oubliée et à se mélanger avec l’EP, y compris dans la canalisation qui alimente l’Insep. Cette contamination a mis quatre jours pour arriver à l’établissement, puisque la vanne défectueuse était à peine ouverte. Mais cet à peine a été suffisant.

Une fois la cause découverte, Eau de Paris a supprimé la vanne fautive et tamponné définitivement la canalisation d’ENP pour éviter tout nouvel incident, puis le réseau intérieur de l’Insep et la partie contaminée du réseau public d’EP ont été désinfectés. De toute façon, un tel raccordement direct est désormais interdite par la réglementation : quand un réseau d’EP alimente une canalisation d’ENP, il faut installer entre eux un dispositif assurant la disconnexion hydraulique et empêchant les retours d’eau. Mais ce n’était pas le cas autrefois, et une telle situation risque de se reproduire ailleurs. Aussi les gestionnaires de l’eau potable ont-ils tout intérêt à dresser très précisément les plans des réseaux et de leurs annexes, dont les vannes, surtout dans les secteurs anciens. Quant aux concurrents des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, ils décideront peut-être de s’en tenir à l’eau en bouteille pendant leur séjour à Paris.

René-Martin Simonnet

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