Éditorial : Water sans watt-heure

Écowatt fera-t-il des siennes cet hiver ? Pour l’instant, RTE n’a pas eu besoin de mettre en branle ce dispositif de réduction des pointes. Mais le gestionnaire du réseau de transport d’électricité a déjà averti qu’il faudrait s’attendre à des moments délicats d’ici à fin mars. Trop de nos centrales nucléaires sont à l’arrêt pour que la France soit certaine de passer tout l’hiver sans difficulté.

Certes, nous pourrons importer du courant du reste de l’Europe, et nous le faisons déjà ; mais en préférant courageusement la défense du droit international et des libertés à leur confort immédiat, les pays européens se retrouvent tous en situation de tension. Certains jours, la France ne pourra pas importer autant qu’il lui faudrait. Elle utilisera alors tous les moyens indolores pour effacer les pointes de consommation, dont les réserves hydroélectriques ; puis au besoin les moyens un peu plus contraignants, comme l’arrêt de certaines usines ; et peut-être en fin de compte le moyen vraiment douloureux : couper le courant dans une ou plusieurs régions.

Les pompiers vont bien s’amuser avec les gens coincés dans les ascenseurs ou les salles des coffres. Et en cas d’incendie, auront-ils de l’eau pour l’éteindre ? Aurons-nous de l’eau à nos robinets ? Et que deviendront nos eaux usées pendant ces deux heures sans électricité ? On nous promet que les coupures de courant épargneront les services d’importance vitale, donc l’eau potable et l’assainissement ; mais je ne saurais trop conseiller aux gestionnaires de ces services de commencer par vérifier une fois de plus la disponibilité de leurs groupes électrogènes de secours.

Prenons l’hypothèse d’une agglomération isolée qui se retrouve totalement déconnectée du réseau national pendant deux heures. Elle ne manquera pas d’eau potable si ses châteaux d’eau sont assez volumineux et bien remplis : ils assureront une alimentation gravitaire tant qu’ils ne seront pas vides. Seuls pourront être affectés les points de puisage situés plus haut, par exemple aux derniers étages d’une tour de bureaux, si ce bâtiment n’a ni réserve d’eau sur son toit ni groupe électrogène pour faire tourner sa propre pompe ; mais ce n’est pas le problème du service public.

On nous promet d’ailleurs qu’il n’y aura pas de coupure totale. Mais même en cas de déconnexion sélective, qui épargnera les pompes des captages, l’usine de potabilisation et les pompes d’alimentation des châteaux d’eau, certains services d’eau seront bien en peine, parce que leur réseau comporte aussi des pompes relais pour assurer une pression suffisante dans certains secteurs. Il faudra prévoir une alimentation de secours pour chaque groupe, ou avertir à l’avance les usagers concernés qu’ils n’auront pas d’eau durant deux heures. Et si l’on veut faire fonctionner le service comme d’habitude, il faudra penser, non seulement aux pompes, mais aussi à tous ces équipements installés au fil du réseau : les capteurs, les transmetteurs, les électrovannes, etc.

Le problème sera plus grave dans les réseaux de collecte des eaux usées et des eaux pluviales : beaucoup ont besoin de pompes pour éviter l’engorgement de tel ou tel secteur. Il serait très risqué de prendre le pari qu’ils pourront monter en charge durant deux heures sans déborder, surtout s’il pleut à verse. Et les secteurs les plus bas d’un réseau ne sont pas toujours munis d’un trop-plein ou d’un déversoir d’orage. Il faut donc aussi équiper ces pompes d’une alimentation électrique de secours. Et penser au passage à avertir les usagers équipés d’un WC broyeur qu’ils ne pourront pas tirer leur chasse d’eau pendant deux heures.

Et pour l’eau potable comme pour l’assainissement, il vaudra mieux ne pas compter sur le service voisin ou sur une hypothétique réserve régionale pour vous dépanner. Si toute une région est soumise au même traitement, ce sera chacun pour soi. D’ailleurs, il faudrait sans doute plus de deux heures pour acheminer un groupe électrogène de secours, le raccorder aux équipements à approvisionner et le mettre en service. D’ici là, le courant sera déjà revenu.

René-Martin Simonnet

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