o Évaluation environnementale : il n’y a pas que la taille qui compte

La directive exige de prendre en compte tous les facteurs, en particulier la localisation d’un projet, ce que la France a négligé.

Si l’on en croit des critiques récurrentes, la France serait une trop bonne élève de l’Europe : quand elle transpose le droit européen dans son dispositif national, elle se rendrait coupable de surtransposition. Cette accusation vise en particulier le domaine de l’environnement, sans doute parce que notre pays est plutôt en retard à ce sujet et parce que ces textes dérangent beaucoup de gens puissants.

Avec une naïveté touchante – ou pas –, la majorité actuelle a cru qu’elle devait remettre de l’ordre dans les textes et limiter la transposition des dispositions européennes à leur strict nécessaire. Elle a imaginé qu’il en résulterait ainsi un formidable bond économique grâce à la disparition de prétendues distorsions de concurrence entre la France et les autres États membres.

De la surtransposition à la sous-transposition

Elle réécrit ainsi de temps à autre quelques alinéas d’articles de code, sans aucun effet positif ni négatif sur les investisseurs français ou étrangers. Elle applique aussi aux nouveaux textes cette logique de transposition au plus juste, au risque de sous-transposer et de devoir reprendre sa copie.

C’est précisément la question qui se pose dans la présente affaire : la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, dite directive EIE, a-t-elle été correctement transposée par le décret n2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale ?

La France a toujours du mal avec l’évaluation environnementale

Rappelons que ce décret en Conseil d’État (section des travaux publics) avait été pris pour satisfaire la section du contentieux du même Conseil d’État, qui avait annulé en partie le décret n2016-1110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, au motif que certaines de ses dispositions violaient le principe de non-régression de la protection de l’environnement. On voit que cette histoire est déjà très embrouillée, et ce n’est pas fini…

Sans rentrer dans le détail de cette affaire, qui concerne un petit autodrome en zone rurale, on notera que France nature environnement et sa fédération départementale de l’Allier reprochent au décret n2018-435 d’avoir dispensé de toute évaluation environnementale, sans tenir compte de leur impact éventuel sur l’environnement, les projets qui ne figurent pas dans la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, ainsi que ceux qui y figurent mais qui n’atteignent pas les seuils fixés par cette nomenclature.

La directive EIE a déjà donné lieu à une abondante jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, y compris sur cette question précise.

Il faut prendre aussi en compte la nature et la localisation des projets

Cela ne devrait pourtant pas être le cas, puisque son article 2 est très clair : « Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leur incidence sur l’environnement. »

Cette disposition est en outre détaillée dans l’annexe III du même texte. Il en résulte sans ambiguïté aucune que les dimensions d’un projet ne peuvent pas être le seul critère retenu pour savoir si ce projet relève ou non de la directive EIE. Il faut prendre en compte tous les autres éléments qui permettent de déterminer s’il est susceptible « d’avoir des incidences notables sur l’environnement ».

La présente décision du Conseil d’État enfonce le clou, dans son considérant n7 : « Il résulte des termes de la directive, tels qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne, que l’instauration, par les dispositions nationales, d’un seuil en-deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d’évaluation environnementale n’est compatible avec les objectifs de cette directive que si les projets en cause, compte tenu, d’une part, de leurs caractéristiques, en particulier leur nature et leurs dimensions, d’autre part, de leur localisation, notamment la sensibilité environnementale des zones géographiques qu’ils sont susceptibles d’affecter, et, enfin, de leurs impacts potentiels ne sont pas susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine. »

Le considérant n10 en tire une conclusion pratique : « en ne prévoyant pas de soumettre à une évaluation environnementale, lorsque cela apparaît nécessaire, des projets qui, bien que se trouvant en-deçà des seuils qu’il fixe, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine en raison notamment de leur localisation, le décret attaqué méconnaît les objectifs » de la directive EIE.

Annulation avec sursis : le Premier ministre a neuf mois pour corriger

Par conséquent, ce décret est annulé « en tant qu’il ne prévoit pas de dispositions permettant qu’un projet susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement pour d’autres caractéristiques que sa dimension puisse être soumis à une évaluation environnementale ».

Et ce n’est pas tout : « Il est enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision, les dispositions permettant qu’un projet susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement ou la santé humaine pour d’autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale. »

En réalité, ce n’est pas seulement ce texte qui est torpillé, mais toute une partie du mécanisme français d’évaluation environnementale. Il faudra donc sans doute retoucher aussi la législation, ce qui prendra plus de neuf mois.

CE, 15 avril 2021, n425424 (tab. Lebon).

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