Faut-il saisir deux juges quand une faute est due à deux responsables différents ?

Quand une même faute peut relever à la fois du juge administratif et du juge judiciaire, que doit faire le tribunal saisi en premier ?

Bien que l’affaire à l’origine de cet avis n’ait aucun lien avec le domaine de l’eau, cette opinion du Conseil d’État mérite d’être commentée, parce qu’elle porte sur la responsabilité en général et sur un point de procédure contentieuse qui peut se rencontrer dans tous les domaines.

En l’occurrence, il s’agit d’une faute qui aurait été commise par le groupe hospitalier du sud de l’Oise dans le suivi d’une grossesse. Mais si la victime a saisi le tribunal administratif (TA) d’Amiens pour obtenir la condamnation de l’hôpital, la procédure butte sur l’éventuelle mise en jeu de la responsabilité pour faute d’une personne privée, non précisée ici.

Compétence de chaque juge

Plus précisément, il y aurait eu un cumul de fautes, commises l’une par une personne publique passible du juge administratif, l’autre par une personne privée dont l’appréciation de la responsabilité relève du juge judiciaire. Or il est interdit au juge judiciaire d’empiéter sur le domaine du juge administratif, et réciproquement.

Pour éviter toute ambiguïté, le TA d’Amiens précise que ces deux fautes « portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites ». Autrement dit, chacune aurait suffi à produire le dommage dont la réparation est demandée en justice. Il faut donc distinguer la présente situation d’un cumul de fautes qui auraient concouru à provoquer le dommage, sans que chacune n’en soit la cause unique.

La victime a néanmoins saisi le juge administratif de conclusions se fondant sur un partage de responsabilité entre coauteurs. Le TA d’Amiens peut-il alors déterminer la part de responsabilité devant incomber à la personne publique attraite devant lui à l’issue d’un tel partage ? Ou doit-il écarter le partage de responsabilité demandé par la victime et condamner la personne publique, dans la limite de la somme demandée, à réparer intégralement le dommage, à charge pour elle, le cas échéant, d’exercer une action récursoire ?

Le Conseil d’État répond en posant un principe simple : lorsqu’un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui ont été commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, mais que chacune de ces fautes portait en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher devant le juge administratif la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une de ces personnes à réparer l’intégralité de son préjudice.

Condamnation de la personne publique pour la totalité du dommage

L’un des coauteurs ne peut alors s’exonérer, même partiellement, de sa responsabilité en invoquant l’existence de fautes commises par l’autre coauteur. Il en résulte que la victime peut demander la condamnation d’une personne publique à réparer l’intégralité de son préjudice lorsque la faute commise portait normalement en elle le dommage, alors même qu’une personne privée, agissant de façon indépendante, aurait commis une autre faute, qui portait aussi normalement en elle le dommage au moment où elle s’est produite.

Il n’y a, dans cette hypothèse, pas lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les coauteurs : un tel partage n’affecte que les rapports réciproques entre ceux-ci, mais non le caractère et l’étendue de leurs obligations à l’égard de la victime du dommage. Il incombe à la personne publique, si elle l’estime utile, de former une action récursoire à l’encontre du coauteur personne privée devant le juge compétent, afin qu’il soit statué sur ce partage de responsabilité.

Il appartient en conséquence au TA de déterminer l’indemnité due au requérant, dans la limite des conclusions indemnitaires dont il est saisi, laquelle s’apprécie au regard du montant total de l’indemnisation demandée pour la réparation de l’entier dommage, quelle que soit l’argumentation des parties sur un éventuel partage de responsabilité.

CE, avis no 468190 du 20 janvier 2023 (JO 25 janv. 2023, texte n99).

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