o Jean-Jacques Hérin : l’animateur eaux pluviales est un métier d’avenir

Pour le président de l’Adopta, l’évacuation des eaux pluviales urbaines est une impasse coûteuse. Il est préférable de promouvoir l’infiltration sur place, avec des aménagements limités et, surtout, avec une bonne dose de pédagogie. Pour cela, la collectivité ou le groupement doit désigner un agent dédié à cette tâche.

L’Adopta a été créée voici vingt-cinq ans à Douai pour prévenir et atténuer les inondations dans cette région. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

La fondation de cette association, en octobre 1997, est due à Jacques Vernier, alors maire de Douai (Nord), et surtout à son adjoint Michel Durousseau, qui présidait le Syndicat intercommunal d’assainissement de la région de Douai (Siado). Tous deux avaient déjà une longue expérience de la politique de l’eau, le premier comme directeur de l’agence de l’eau Artois-Picardie, le second comme directeur adjoint.

En 1992, le Siado avait décidé de changer de politique pour la gestion des eaux pluviales dans son territoire, afin de réduire les inondations récurrentes. Après un certain nombre d’expérimentations réussies, et pour diffuser le savoir-faire ainsi acquis, les acteurs locaux de l’eau ont décidé de créer une Association douaisienne pour la promotion des techniques alternatives.

Cet organisme s’est développé d’abord dans sa région, puis il s’est étendu aux régions voisines. Son siège est toujours à Douai, mais il a aussi deux implantations à Compiègne (Oise) et à Metz (Moselle), et il compte des adhérents dans toute la France. Nous lui avons par conséquent donné une appellation plus large : l’Association pour le développement opérationnel et la promotion des techniques alternatives, ce qui nous a permis de conserver le sigle Adopta.

Quel est le profil de vos adhérents ?

Nous comptons 170 adhérents, dont une moitié d’entreprises et d’autres acteurs du monde économique, le reste étant constitué de collectivités territoriales et de leurs groupements, de bailleurs sociaux et d’associations. Il y a également une trentaine de membres associés, à commencer par l’agence de l’eau Artois-Picardie, qui nous soutient depuis le début, mais aussi d’autres agences de l’eau, l’Ademe, des services de l’État, des CAUE, etc.

Dans les collectivités et leurs groupements, nos interlocuteurs habituels sont plutôt des directeurs de service ou des animateurs eaux pluviales, en fonction du type et de la taille de la collectivité. En revanche, les élus sont très présents lorsque nous organisons des conférences.

Pourquoi ces collectivités adhèrent-elles ?

À l’origine, elles venaient chercher des solutions et des exemples pour maîtriser leurs problèmes d’inondation ou de pollution par les débordements d’eaux pluviales. C’est toujours le cas, mais d’autres thèmes s’y sont ajoutés : le changement climatique, la biodiversité et l’intégration de l’eau dans la ville. Par exemple, Toulouse a décidé de changer radicalement de politique de gestion des eaux pluviales. Ce n’est pas pour prévenir les inondations ou les pollutions pluviales, puisque l’intégralité du réseau d’assainissement y est déjà en séparatif, mais pour l’adaptation au changement climatique ; et c’est une volonté des élus.

Comment aidez-vous vos adhérents ?

Nous pouvons répondre à toutes leurs préoccupations d’ordre politique, géotechnique, géologique, climatique, d’aménagement du territoire ou de pollution. Mais notre fonction première est la sensibilisation : l’Adopta n’est pas un maître d’œuvre, elle se limite à l’information et à l’accompagnement organisationnel et technique. Le cas échéant, nous pouvons dispenser des formations techniques, mais dans une optique pratique.

Par exemple, j’ai organisé une formation de quatre jours à Orléans, dont la moitié a consisté à disséquer les projets des stagiaires. Nous ne sommes pas un bureau d’études, je ne décide rien par moi-même, mais je fais travailler et réfléchir les stagiaires. Je les emmène vers une conception différente de la ville. Je commence par la noue : faites vos espaces verts en creux plutôt que bombés. Faites-les plus bas que les voiries : la ville a été conçue avec l’idée d’évacuer les eaux pluviales, et c’est pour cela que les bordures des pelouses sont en général plus hautes que la chaussée. Il suffit de les rabaisser pour que l’eau ne reste pas sur la voie et que la ville devienne perméable.

Il faut conserver le réseau existant et continuer de l’améliorer, mais désormais l’objectif doit être le zéro pluvial en plus, et déconnecter tout ce qu’on peut, une parcelle après l’autre.

Vous avez créé un réseau francophone des animateurs eaux pluviales. Dans quel but ?

Nous l’avons lancé en partenariat avec le Groupe de recherche, d’animation technique et d’information sur l’eau (Graie), qui travaille sur le sujet des eaux pluviales depuis trente ans. Il est difficile de convaincre les collectivités de créer un poste d’animateur eaux pluviales, parce qu’il n’y a pas de financement dédié : ce service relève du budget général de la commune ou du groupement, même s’il peut éventuellement bénéficier de la taxe Gemapi.

L’animateur eaux pluviales est pourtant un métier d’avenir, parce qu’il faut sans cesse sensibiliser de nouveaux interlocuteurs, à mesure que la ville évolue et s’étend. Il faut bien une personne dédiée à cette tâche, qui dialogue avec les acteurs privés et les habitants, mais aussi en interne.

Lors du dernier congrès de l’Astee, du 14 au 16 juin à Dunkerque, on a pu entendre un animateur eaux pluviales à Givors (Rhône), qui insistait sur l’importance de son rôle ; et à l’inverse un gestionnaire de l’eau à Roanne (Loire), qui allait supprimer ce poste et estimait que tous les services devaient s’approprier cette thématique. Lequel a raison ?

Pour gérer les eaux pluviales, il ne faut plus poser des tuyaux, mais créer des réseaux d’acteurs. Il faut donc une tête de réseau, l’animateur eaux pluviales. Cela nécessite de prévoir un budget annuel de l’ordre de 60 000 , à comparer avec le coût d’un bassin de rétention des eaux de ruissellement, qui est de l’ordre de 3 M.

L’an dernier, un quartier de Reims a été inondé par la pluie trois fois en quinze jours. La communauté urbaine a calculé que la protection de ce quartier contre une inondation décennale coûterait 16 M en multipliant les équipements, alors qu’il suffirait de 3 M en le déconnectant et en infiltrant les eaux pluviales sur place.

Mais pour y parvenir, il faut convaincre les aménageurs et sensibiliser les habitants, et c’est le rôle de l’animateur eaux pluviales. Il doit aussi remobiliser les élus après chaque élection municipale, et ce n’est pas toujours le plus facile. Dans mon village natal, sur les fonds baptismaux, une formule est gravée : « Encore à refaire ». Ce pourrait être la devise de tous les animateurs eaux pluviales.

Propos recueillis par René-Martin Simonnet

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