o La commune ne peut pas refuser la propriété de certains terrains inondables

Cette disposition peu connue permet le transfert automatique des terres vaines et vagues dans le patrimoine de la commune.

Avec plus de deux siècles d’existence, l’article 1401 du code général des impôts (CGI) est quasiment un fossile vivant dans le droit français. Il provient en effet, presque sans changement, des articles 65, 66 et 109 de la loi du 3 frimaire an VII relative à la répartition, à l’assiette et au recouvrement de la contribution foncière. Cette date du calendrier républicain correspond au 23 novembre 1798 du calendrier actuel.

« Terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux »

Cet article constitue en outre une singularité, car il permet à un contribuable, sous certaines conditions, d’abandonner la propriété d’un terrain et de la transférer à la commune, sans que celle-ci ne puisse refuser ce transfert. Cela concerne uniquement « les terres vaines et vagues, les landes et bruyères et les terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux ». Un tel abandon semble très anecdotique, puisque la jurisprudence à ce sujet se limite à quelques décisions maigrelettes du Conseil d’État.

Mais la présente affaire permet au Conseil constitutionnel d’enrichir cette jurisprudence, grâce à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Malgré sa complexité, le litige à l’origine de cette question est clairement exposé dans les conclusions du rapporteur public du Conseil d’État, Laurent Cytermann. En résumé, l’ensemble immobilier possédé par un syndicat de copropriétaires, sur les hauteurs de Nice (Alpes-Maritimes), comporte une paroi rocheuse qui présente un risque important de chute de pierres sur une rue en contrebas, selon la mairie.

Mis en demeure d’entretenir cette paroi, le syndicat des copropriétaires décide d’en abandonner la propriété en application de l’article 1401 du CGI. Il notifie cette décision à la commune, qui répond que cette démarche est à l’étude, puis qui ne répond plus.

Pas de demande, donc pas de refus implicite ou explicite

Comme le danger persiste, le syndicat saisit le tribunal judiciaire de Nice pour lui faire constater ce transfert de propriété. Le juge judiciaire sursoit à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur l’existence ou non d’une décision de rejet implicite née du silence gardé par la commune de Nice sur la déclaration d’abandon. Le tribunal administratif de Nice juge qu’une telle déclaration d’abandon ne constitue pas une demande, et que le conseil municipal ne pouvait s’y opposer que par une décision explicite.

La commune se pourvoit en cassation auprès du Conseil d’État, en y adjoignant une QPC portant sur l’article 1401 du CGI, ou plus précisément sur ses quatre premiers alinéas. Elle estime en particulier que ces dispositions portent atteinte au droit de propriété.

Atteinte au droit de propriété

Saisi par le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel rappelle en préambule que les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 permettent de porter atteinte au droit de propriété, à condition que ces atteintes soient justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. « Les dispositions contestées permettent au propriétaire de certains terrains de s’affranchir de la taxe foncière en renonçant, par une déclaration écrite, à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées. Cet abandon n’est pas subordonné à l’acceptation par la commune. »

Notons au passage que le TA de Nice a ainsi raison quand il juge que cette déclaration d’abandon ne constitue pas une demande, mais tort quand il permet au conseil municipal de s’y opposer par une décision explicite.

La commune ne peut refuser ce transfert ni implicitement, ni explicitement, et le Conseil constitutionnel le confirme : « En imposant ainsi à la commune de devenir propriétaire de ces terrains, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété. » Il reste à déterminer si cette atteinte est justifiée par un motif d’intérêt général et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Pour un usage conforme à l’intérêt de la collectivité

La suite de la présente décision répond sur ces deux aspects : « En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu que des terrains improductifs et délaissés par leur propriétaire puissent, en entrant dans le patrimoine de la commune, trouver un usage conforme à l’intérêt de la collectivité. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.

« En second lieu, ces dispositions ne s’appliquent, sous le contrôle du juge, qu’aux terres vaines et vagues, aux landes et bruyères ou aux terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux. En outre, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, parmi ces terrains, seuls ceux qui ne comportent aucun aménagement particulier de nature à les rendre propres à un usage agricole, industriel, commercial ou à des fins d’habitation, peuvent faire l’objet d’un transfert de propriété à la commune. Les autorités communales sont tenues de s’opposer à l’abandon de terrains qui n’entreraient pas dans le champ ainsi défini.

Pas d’atteinte disproportionnée au droit de propriété

« Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit donc être écarté. » Et puisque les quatre premiers alinéas de l’article 1401 du CGI ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, ils sont déclarés conformes à la Constitution.

On notera que ces dispositions ne répondaient à l’origine qu’à un souci purement fiscal, et que c’est la présente décision qui élargit leur finalité, en invoquant l’intérêt de la collectivité. On peut par exemple imaginer qu’une commune ou un groupement de communes pourra ainsi transformer des « terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux » en zone d’expansion des crues.

Réservé aux terrains non aménagés

Il faut toutefois que les terrains ainsi transférés ne comportent aucun aménagement particulier, ce qui est tout de même assez rare de nos jours. On peut présumer que le recours à cet article restera anecdotique et ne pourra pas fonder une politique de prévention des inondations.

Décision no 2022-995 QPC du 25 mai 2022 (JO 26 mai 2022, texte no 65)

Voir également les conclusions sur la QPC de Laurent Cytermann, rapporteur public du Conseil d’État (CE, no 454827, 15 mars 2022).

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