o Limitation du droit pour une association d’attaquer une décision d’urbanisme

La loi peut interdire aux associations âgées de moins d’un an de contester en justice certaines décisions individuelles concernant l’occupation des sols.

Une association, La Sphinx, dépose devant la juridiction administrative un recours contre une décision d’urbanisme dont bénéficie la société Total Énergies Paris-Saclay. Celle-ci répond qu’en vertu de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, cette association-là ne peut pas attaquer cette décision. Ce point de droit fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par La Sphinx à l’encontre de cet article.

Cet article L. 600-1-1 a été modifié par l’article 80 de la loi n2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. Dans sa version initiale, issue de l’article 14 de la loi n2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, cet article était ainsi rédigé : « Une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l’association en préfecture est intervenu antérieurement à l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. »

Mais la modification de 2018 a remplacé les mots « antérieurement à » par les mots « au moins un an avant ». Et comme La Sphinx n’a pas déposé ses statuts en préfecture un an avant l’affichage de la demande de Total, son seul espoir est d’obtenir l’annulation de cette modification. Elle bénéficie dans le cadre de cette QPC du soutien de la fédération France nature environnement.

Interdit même si le recours n’est pas dilatoire ou abusif

Elles font remarquer que cette nouvelle disposition prive les associations dont les statuts ont été déposés depuis moins d’un an de toute possibilité d’agir en justice pour défendre leur objet social, alors même que leurs recours ne seraient ni dilatoires ni abusifs. Il en résulterait une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif et une violation de la liberté d’association. En outre, ces dispositions introduiraient une différence de traitement injustifiée entre les associations, au motif que le critère temporel retenu par le législateur pour apprécier la recevabilité de leur recours serait sans lien avec leur intérêt à agir.

Le Conseil constitutionnel se réfère à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont il déduit qu’ « il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction ».

Par la disposition en cause, le législateur a voulu que les associations qui se créent aux seules fins de s’opposer à une décision individuelle d’occupation ou d’utilisation des sols ne puissent la contester. Il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d’incertitude juridique qui pèsent sur ces décisions d’urbanisme et prévenir les recours abusifs et dilatoires.

Pas une atteinte disproportionnée

Les dispositions contestées restreignent le droit au recours des seules associations âgées de moins d’un an, et cette restriction est limitée aux décisions individuelles relatives à l’occupation ou à l’utilisation des sols. « Par conséquent, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. »

Elles ne méconnaissent pas non plus la liberté d’association ni le principe d’égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Les mots « au moins un an » figurant à l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme sont donc conformes à la Constitution.

Décision n2022-986 QPC du 1er avril 2022 (JO 2 avr. 2022, texte n83).

NDLR : Le Conseil constitutionnel applique ici strictement le principe selon lequel il n’a pas à se substituer au législateur, ni à se demander si celui-ci a pris la meilleure décision possible. Le rôle d’une QPC n’est pas de réécrire le droit, mais d’en contrôler la conformité à la Constitution.

En l’occurrence, comme souvent, le législateur a exercé un arbitrage entre plusieurs droits à valeur constitutionnelle : d’un côté le droit d’exercer un recours devant une juridiction, de l’autre la sécurité juridique des décisions d’urbanisme et la prévention des recours abusifs et dilatoires.

Comme l’interdiction contestée est limitée aux associations âgées de moins d’un an et à une certaine catégorie de décisions administratives individuelles, l’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif est considérée comme non disproportionnée.

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