Question de Fabrice Brun, député (apparenté LR) de l’Ardèche :
Il n’est pas tous les jours facile d’être un alevin ou une truite fario dans les eaux vives de mon département. D’abord, parce que le parcours pour atteindre la taille de 23 centimètres est semé d’embûches ; ensuite, parce que le risque est grand de finir dans le bec d’un cormoran, cet oiseau piscicole très vorace dont la multiplication porte atteinte à la biodiversité dans les cours d’eau. Il n’y a qu’à constater les dégâts dans les eaux de l’Ardèche, de la Volane ou de l’Allier pour s’en convaincre.
Les fédérations de pêcheurs demandent que les milieux aquatiques soient protégés. Or l’État ne permet plus de réguler cette espèce gloutonne, les tirs de régulation en eau libre étant interdits depuis un an. Le cormoran est protégé depuis un arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et il n’est pas question de l’éradiquer. Mais il faut le réguler et les tirs d’effarouchement sont inefficaces.
Les cormorans ne sont plus une espèce menacée
Les comptages annuels démontrent que l’espèce n’est plus menacée, puisque leurs effectifs en eau libre ont augmenté de 16 % entre 2018 et 2021. Bien qu’elle ne soit pas perceptible depuis la surface, la biodiversité piscicole ne doit pas être malmenée par un oiseau envahissant qui s’aventure hors de son écosystème habituel.
Réponse de la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé :
Le grand cormoran n’est pas un envahisseur, mais une espèce autochtone, protégée au niveau européen sur le fondement de la directive relative à la conservation des oiseaux sauvages, dite directive Oiseaux. Sa population en France est à peu près stable depuis 2013, oscillant autour de 100 000 individus.
Le droit national prévoit des dérogations à la protection stricte, afin de mener des opérations de régulation encadrées dont les conditions sont fixées par un arrêté-cadre du 26 novembre 2010, complété par un arrêté ministériel pris tous les trois ans ; l’actuel porte sur la période 2022-2025. Ce dernier est lui-même décliné en arrêtés départementaux définissant les personnes habilitées, les périodes et les zones de tir autorisées.
Les juges ont annulé tous les arrêtés préfectoraux
L’élaboration de l’arrêté triennal 2022-2025 est intervenue dans un contexte de contentieux, alors que de multiples arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations sur les cours d’eau et les plans d’eau avaient été attaqués, puis tous annulés par les juges. Ces arrêtés ont été jugés insuffisamment motivés, car ils ne démontraient ni la présence dans les cours d’eau d’espèces piscicoles menacées, ni l’impact de la prédation du grand cormoran sur ces espèces, ni le déploiement de solutions alternatives à la destruction.
Aussi, afin de sécuriser les actes juridiques et d’éviter que les futurs arrêtés préfectoraux ne soient à nouveau annulés, il a été décidé de ne pas établir de plafonds pour les cours d’eau et les plans d’eau dans l’arrêté ministériel portant sur la période 2022-2025. Des dérogations ont en revanche été accordées pour protéger les piscicultures dans 58 départements, avec un plafond annuel de 27 892 individus concernés par la régulation, soit un quart de la population au maximum.
Nous échangeons régulièrement sur ce sujet avec les fédérations départementales de pêcheurs. Nous devons à présent évaluer objectivement l’impact éventuel du cormoran sur la conservation des espèces piscicoles protégées ou menacées, en nous appuyant sur des études locales robustes. Si cet impact est réel, l’arrêté 2022-2025 pourrait être complété afin de fixer des plafonds pour les cours d’eau et plans d’eau concernés. Cette évaluation est testée dans quatre départements avec une aide de l’État, dans le cadre d’un protocole conclu avec la Fédération nationale de la pêche en France. Les résultats de ces premières études seront connus dans les prochains mois.
AN, 12 déc. 2023, 1re séance.
NDLR : le déversement de millions d’alevins perturbe sans doute plus les espèces piscicoles menacées.