Paiements au titre de Natura 2000 pour une tourbière et une pisciculture

Un État peut limiter l’indemnisation d’une pisciculture et interdire des plantations dans une tourbière.

Vécue d’abord comme une contrainte, notamment par les agriculteurs, la délimitation d’un site Natura 2000 est devenue une bonne affaire depuis que l’Union européenne a prévu le versement de paiements et d’indemnités pour les activités affectées par de tels sites.

Encore faut-il définir précisément qui peut recevoir quoi, et dans quels cas. C’est l’objet de ces deux décisions préjudicielles rendues par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à la demande de l’instance de cassation de la Cour suprême de Lettonie. Cette instance est appelée Sénat, mais ce n’est pas une chambre parlementaire, nonobstant son nom.

Une ferme piscicole lettone, la SARL Sātiņi-S, fait l’objet de deux procédures distinctes mais simultanées, qui portent toutes les deux sur Natura 2000. D’une part, elle est située dans une zone Natura 2000 délimitée en application de la directive Oiseaux, et elle a obtenu une indemnité en raison des dégâts commis dans son élevage par des oiseaux protégés au titre de cette directive ; mais elle estime que cette indemnité ne couvre pas la totalité de ces dégâts. D’autre part, sans doute pour diversifier son activité, elle a acquis un terrain également situé en zone Natura 2000, et elle entend y planter des canneberges, alors qu’il s’agit d’une tourbière.

Paiements Feader pour une tourbière

Pour la seconde affaire, la réponse de la CJUE est assez simple. Elle interprète le paragraphe 6 de l’article 30 du règlement (UE) n1305/2013 du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). En principe, décide-t-elle, cet article n’exclut pas les tourbières des paiements au titre de Natura 2000, si elles relèvent bien des notions de surface agricole ou de forêt. En principe toujours, ces tourbières situées dans des zones Natura 2000 peuvent alors bénéficier des paiements Feader en tant que zones agricoles et forestières Natura 2000.

Toutefois, ce même article permet à un État membre d’exclure de telles tourbières des paiements au titre de Natura 2000, ou de limiter les versements de tels paiements pour des zones forestières Natura 2000.

Une interdiction connue au moment de l’achat

De plus, si on le combine avec l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui traite du droit de propriété, un paiement au titre de Natura 2000 ne doit pas être octroyé au propriétaire d’une tourbière relevant de ce réseau au motif qu’une restriction a été apportée à une activité économique pouvant être menée sur une telle tourbière, notamment l’interdiction d’y procéder à une plantation de canneberges, alors que, au moment où il a acquis ce bien, le propriétaire avait connaissance d’une telle restriction. C’est exactement la réponse qu’espérait le service de soutien rural, qui relève du ministère letton de l’agriculture.

Concernant les dégâts commis par des oiseaux protégés au titre de Natura 2000, la réponse est plus subtile. D’une part, l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce que l’indemnisation accordée par un État membre au titre des pertes subies par un opérateur économique, en raison des mesures de protection applicables dans une zone Natura 2000 en vertu de la directive Oiseaux, soit sensiblement inférieure aux dommages réellement subis par cet opérateur.

D’autre part, en vertu du paragraphe 1 de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une indemnisation accordée par un État membre au titre des pertes subies par un opérateur économique en raison des mesures de protection applicables dans une zone Natura 2000 en vertu de la directive Oiseaux confère un avantage susceptible de constituer une aide d’État. Or le paragraphe 2 de l’article 3 du règlement (UE) n717/2014, concernant l’application de cet article 107 aux aides de minimis dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture, plafonne à 30 000  les aides de minimis versées en application de cet article 107. Ce plafond s’applique dans le présent cas.

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 27 janvier 2022 (demande de décision préjudicielle de l’Augstākā tiesa (Senāts) — Lettonie) — « Sātiņi-S » SIA (Affaire C-234/20) [Renvoi préjudiciel – Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Règlement (UE) n1305/2013 – Soutien au développement rural – Article 30, paragraphe 6, sous a) – Paiements au titre de Natura 2000 – Indemnisation de la perte de revenus dans les zones agricoles et forestières – Tourbières – Interdiction de procéder à des plantations de canneberges – Absence d’indemnisation compensatoire – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 17 – Droit de propriété]

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 27 janvier 2022 (demande de décision préjudicielle de l’Augstākā tiesa (Senāts) — Lettonie) — « Sātiņi-S » SIA (Affaire C-238/20) [Renvoi préjudiciel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 17 – Droit de propriété – Directive 2009/147/CE – Indemnisation des dommages causés à l’aquaculture par les oiseaux sauvages protégés dans une zone Natura 2000 – Indemnité inférieure aux dommages réellement subis – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Aides d’État – Notion d’ « avantage » – Conditions – Règlement (UE) n717/2014 – Règle de minimis] (JOUE C 119, 14 mars 2022, pp. 10 et 11)

Voir également JOUE C 262, 10 août 2020, pp. 18 et 19.

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