o Prise en compte de l’eau dans les évaluations environnementales : peut mieux faire

Si les évaluations des projets s’améliorent, sauf pour les zones humides, celles des plans et des programmes ne prennent pas assez en compte les enjeux concernant l’eau.

Dans son rapport annuel 2021, l’Autorité environnementale (Ae) consacre un chapitre de huit pages à la politique de l’eau, en profitant de ce qu’elle a eu à rendre un avis sur la nouvelle version de tous les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage). Et ce chapitre confirme que l’eau est bien devenue la parente pauvre de la politique française de l’environnement. Une parente pauvre qui sert néanmoins de tirelire à bien d’autres politiques, comme celle de la biodiversité.

Un bon état repoussé à 2039

Premier constat de l’Ae, directement tiré des Sdage : à part la Corse, aucun bassin français n’atteindra l’objectif de bon état des masses d’eau en 2027, alors qu’il s’agit pourtant de l’échéance ultime fixée par la directive-cadre sur l’eau (DCE). La France a décidé d’utiliser au maximum tous les mécanismes prévus par l’article 4 de la DCE pour dépasser cette date limite, en particulier la définition d’objectifs moins stricts. Les cinq Sdage d’outre-mer repoussent ainsi l’atteinte du bon état à 2039, et curieusement celui de Rhin-Meuse aussi, alors que ce bassin était jadis considéré comme pionnier. En règle générale, par rapport aux Sdage précédents, le rapport souligne que « les ambitions restent modestes », même si certains ont assigné des objectifs clairs aux masses d’eau encore en retard.

Les pesticides risquent de déclasser l’état des masses d'eau en 2027

Toutefois, la politique de l’eau est largement amnésique, et les bilans des Sdage finissants n’ont pas été assez exploités pour préparer les nouveaux. L’Ae a donc « recommandé de renforcer l’exploitation des futurs bilans des Sdage et des programmes de mesures à mi-parcours afin qu’ils constituent véritablement des outils de réorientation ou d’adaptation des moyens nécessaires à l’atteinte des objectifs retenus ». Et cette adaptation devrait viser en particulier les pesticides, qui « constitueront un paramètre déclassant en fin de cycle » dans tous les bassins. Certains Sdage ont d’ailleurs évité de fixer des objectifs de résultat dans ce domaine, à l’opposée de l’esprit de la DCE.

Tous les Sdage ont pris en compte l’adaptation au changement climatique, mais « l’absence de visibilité sur les volumes d’eau mobilisables pour l’ensemble des activités rend cependant incertaines les prévisions sur le bon état quantitatif, chimique ou écologique des masses d’eau ».

Et l’Ae tire la sonnette d’alarme à propos de certaines évolutions glorifiées dans le cadre du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique : « Les Sdage prévoient également des dispositions dans le cadre de l’adaptation au changement climatique et de la sécurisation de la ressource qui pourraient avoir des impacts sur la qualité des eaux, si des précautions ne sont pas prises et si elles ne sont pas limitées aux secteurs les plus favorables : incitation à l’infiltration des eaux pluviales (Rhin-Meuse) et création de réserves d’eau et de retenues de substitution (Adour-Garonne et Loire-Bretagne). »

La version française de la PAC pas conforme à la DCE

En 2021, l’Autorité environnementale a aussi été saisie de plusieurs plans et programmes relevant du secteur agricole, dont le programme stratégique national (PSN) de la politique agricole commune et le plan d’actions national nitrate (PAN). Elle y a constaté « une stagnation ou une régression de la prise en compte des enjeux environnementaux et des moyens associés, en particulier au regard de la préservation de la ressource en eau ». Plus précisément, selon l’avis qu’elle a rendu, la trajectoire tracée par le futur PSN ne rejoindra pas d’ici à 2030 celle de la DCE. Quant au PAN, certaines de ses nouvelles orientations pourraient présenter un risque de recul environnemental ; un comble pour un plan qui est censé accélérer le respect de la DCE.

Le rapport de l’Ae est nettement plus positif à propos des plans de gestion des risques d’inondation (PGRI) : « Il est satisfaisant de constater que la prévention des inondations privilégie aujourd’hui les solutions fondées sur la nature. » Toutefois, il faudrait aller plus loin, en liant la prévention des inondations et la gestion qualitative et quantitative de la ressource en eau, autrement dit en inscrivant les PGRI dans la logique de la DCE. Par exemple, le contrat de plan interrégional État-régions du bassin de la Loire insiste sur le développement des zones d’expansion des crues pour lutter contre les inondations, mais il pourrait aussi les concevoir et les utiliser comme des dispositifs de réalimentation des nappes alluviales, afin de réduire les étiages.

Les zones humides oubliées par les projets

Si l’Ae a constaté une amélioration globale des évaluations environnementales sur les projets soumis à ses avis, elle a toutefois noté que les impacts de ces projets sur l’eau étaient en général peu abordés, surtout pour les zones humides et, dans une moindre mesure, pour les eaux souterraines. Ainsi, plus du tiers de ses avis sur des projets comportent au moins une recommandation sur la thématique de l’eau : « La prise en compte des zones humides dans les dossiers souffre d’une mauvaise caractérisation spatiale, mais aussi fonctionnelle, et de l’absence fréquente d’une démarche d’évitement, de réduction et de compensation (ERC) adaptée. » Les projets de zones d’aménagement concerté ou de grandes infrastructures linéaires sont les plus déficients dans ce domaine.

Concernant les eaux souterraines, les évaluations environnementales des projets s’en tiennent souvent aux masses d’eau, alors qu’il conviendrait d’envisager plutôt leur état à l’échelle du projet : « La notion administrative de masse d’eau souterraine peut regrouper plusieurs nappes, et ainsi moyenner des situations très différentes en matière de qualité des eaux et de sensibilité aux pollutions, alors que ce sont les enjeux locaux de la nappe et les impacts du projet sur cette nappe qui doivent être analysés », avertit le rapport annuel. Quant à la notion de périmètre de protection de captage, elle est à l’inverse trop limitée : c’est l’ensemble de la ressource en eau qui doit être protégée, donc la nappe et son aire d’alimentation, et non le seul captage.

Pour les projets routiers, la réglementation impose des dispositifs de prévention des pollutions par les eaux pluviales et de ruissellement, mais cela ne concerne que les tronçons nouveaux. L’Ae souhaite que cette logique soit étendue à l’ensemble de la plateforme de l’axe routier auquel un tronçon nouveau est ajouté, surtout en cas d’infiltration des eaux ainsi recueillies : « cette recommandation aurait vocation à s’appliquer à l’ensemble des projets routiers et à faire l’objet d’une étude nationale générique ».

Comme pour la politique de l’eau, un ensemble de coïncidences a fait que l’Ae a eu à examiner en 2021 plusieurs projets importants concernant la filière nucléaire française ; elle lui a d’ailleurs consacré un autre chapitre de son rapport annuel. Mais elle en a profité pour se pencher sur les rejets liquides de ces installations nucléaires de base : « Nous avons été surpris de découvrir les niveaux des rejets chimiques de ces installations », a résumé pudiquement son président, Philippe Ledenvic, en présentant ce rapport à la presse jeudi dernier : azote et nitrates, chlore et monochloramine ainsi que leurs dérivés organohalogénés, parfois toxiques.

Pas assez de démarches ERC dans le nucléaire

Ainsi, dans son avis sur la centrale nucléaire de Belleville, l’Ae recommande « d’approfondir les études d’amélioration de la qualité de l’eau injectée dans les circuits de refroidissement en vue de réduire les consommations d’eau, les quantités utilisées de produits de traitement et ainsi les rejets de dérivés chlorés et de métaux toxiques ». En général, les études d’impact des sites nucléaires se fixent pour principal objectif de démontrer que les rejets maximaux préservent le bon état de l’environnement immédiat, sans réellement conduire de démarche ERC ni de démarche d’optimisation, pourtant attendue en matière de radioprotection.

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