o Refus de dresser une contravention de grande voirie

Si le contrevenant s’est mis en règle en faisant cesser son atteinte au domaine public, il peut éventuellement éteindre l’action domaniale à son encontre. Mais cela laisse subsister l’action publique, qui vise à punir l’infraction commise.

Ce qui est légal un jour peut-il devenir illégal le lendemain ? Sans aucun doute, en cas de changement de la loi ou de modification de ce qui est en cause. Et donc, quand un juge est invité à apprécier la légalité d’une décision, quelle date doit-il prendre en compte ? Le jour de cette décision ? Le jour où il a été saisi ? Le jour où il rend son jugement ? Ou un autre jour encore ?

Cette question est très importante pour bien rendre la justice, surtout en droit administratif où ce sont des décisions qui sont jugées. En l’occurrence, le litige porte sur une décision implicite de refus prise par le préfet de la Vendée. Elle s’inscrit dans une procédure tous azimuts, déclenchée par une association locale de protection de l’environnement et, derrière elle, par le propriétaire d’une villa en bord de mer, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie : l’intéressé fait tout son possible pour faire disparaître les restaurants installés sur la plage.

Atteinte au domaine public maritime sur la plage

Sans détailler les multiples procédures qu’il a engagées, celle qui est en cause ici concerne une contravention de grande voirie, c’est-à-dire une sanction administrative infligée en cas d’atteinte à l’intégrité ou d’utilisation illégale du domaine public non routier. Dans le cas présent, il s’agit du domaine public maritime, que la commune aurait utilisé d’une manière illégale en installant des conteneurs sur la plage. L’association a demandé au préfet de dresser une contravention de grande voirie à l’encontre de la commune, mais celui-ci a laissé passer le délai limite pour ce faire, ce qui constitue une décision de refus implicite.

L’association a alors saisi le tribunal administratif de Nantes en lui demandant d’annuler ce refus. Mais les juges nantais se trouvent face à une situation complexe et, surtout, mouvante comme l’océan : les installations sur la plage de Boisvinet ont évolué au fil des ans, de même que le droit applicable aux concessions et occupations des plages.

Ils préfèrent donc adresser au Conseil d’État une demande d’avis préjudiciel, pour savoir à quelle date il convient d’apprécier cette situation : « Lorsqu’il est saisi de conclusions tendant à l’annulation du refus de l’autorité compétente de poursuivre la répression d’une contravention de grande voirie alléguée par un tiers, à quelle date appartient-il au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier la légalité d’un tel refus ? »

Apprécier la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction

La question n’ayant jamais été traitée sous cet angle, la réponse du Conseil d’État aura les honneurs du Lebon, ce qui révèle toute son importance. À vrai dire, la règle de base est déjà connue, et rappelée dès les premières lignes de cette réponse : « Le juge de l’excès de pouvoir apprécie, en principe, la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction. Si, par exception, il se place à la date à laquelle il statue, c’est afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait. » Toute la question est alors de savoir s’il faut appliquer le principe ou l’exception, dans le cas présent.

Sans prendre position sur la réalité de la contravention de grande voirie alléguée par l’association, mais en donnant discrètement des pistes pour traiter l’affaire au fond, le Conseil d’État se place dans la situation théorique où une telle contravention a été commise, et il étudie les différents cas de figure qui en découlent.

Il rappelle d’abord que ces fautes relèvent de la procédure prévue par les articles L. 774-1 à L. 774-13 du code de justice administrative. Dans ce cadre, le juge peut condamner le contrevenant à une amende, au titre de l’action publique ; et il peut le condamner à remettre les lieux en état, au titre de l’action domaniale.

En cas de manquement aux textes ayant pour objet la protection de l’intégrité ou de l’utilisation du domaine public, il incombe aux autorités compétentes, en l’occurrence le préfet de la Vendée, de dresser un procès-verbal constatant les faits, de le notifier au contrevenant et d’adresser l’acte de notification au juge des contraventions de grande voirie. C’est à ce juge seul qu’il appartient de décider de la poursuite et de la répression de l’infraction, tant au titre de l’action publique que de l’action domaniale.

Toutefois, puisqu’il s’agit d’une procédure administrative, les autorités compétentes peuvent renoncer à constater une telle contravention lorsque cela mettrait en péril les autres intérêts généraux dont ces autorités ont la charge, notamment les nécessité de l’ordre public. Mais elles ne peuvent pas s’abstenir d’agir « pour des raisons de simple convenance administrative », par exemple pour faire plaisir au maire de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou pour laisser aux restaurateurs visés le temps de se mettre en conformité avec la réglementation.

L’action publique persiste après la fin de l’action domaniale

Si le préfet et le maire jouent la montre, ils peuvent espérer la fin de l’occupation irrégulière du domaine public et la disparition de l’atteinte à son intégrité, et cela peut être de nature à priver d’objet l’action domaniale. Mais « un tel changement de circonstances ne saurait priver d’objet l’action publique », et donc l’amende administrative qui pourra être infligée au contrevenant, sous le contrôle du juge administratif.

Par conséquent, si une autorité a refusé de constater, à la demande d’un tiers, une contravention de grande voirie, le juge de l’excès de pouvoir, saisi d’une demande d’annulation de ce refus, doit en apprécier la légalité au regard de la situation de droit et de fait à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue, et non au regard de la situation de droit et de fait à la date de sa propre décision.

Si en effet il évaluait la situation à la date de sa décision, et si l’irrégularité avait alors cessé, le contrevenant ne pourrait pas être frappé d’une amende administrative, alors que celle-ci vise à le punir pour ce qu’il a commis. Seul le juge des contraventions de grande voirie peut renoncer à l’amende ou en réduire le montant, pour tenir compte de la repentance du contrevenant et de son retour dans la légalité.

Que faire si l’infraction est commise après la saisine du juge ?

On peut toutefois se demander si le juge ne serait pas fondé à évaluer la situation à la date de sa propre décision dans un cas très particulier : l’autorité a refusé de constater une contravention de grande voirie parce qu’une telle contravention n’existait pas, puis ce refus a été déféré au juge, et enfin une contravention de grande voirie a été commise avant que le juge n’ait statué, par exemple l’extension clandestine d’un restaurant de plage autorisé.

Peu importe, estime le Conseil d’État : le juge ne doit pas raccrocher à la procédure en cours, qui porte sur une décision de refus, des faits qui sont postérieurs à ce refus. Si une telle contravention a été commise par la suite, l’autorité compétente « est tenue de tirer les conséquences d’un tel changement de circonstances en dressant constat de l’atteinte au domaine et en saisissant le juge des contraventions de grande voirie ». Ce sera donc une autre procédure.

CE, avis, 31 mars 2023, Association de protection de la plage de Boisvinet et son environnement, no 470216 (Lebon ; JO 6 avr. 2023, texte no 37).

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