Un peu d’eau au Sénat dans le budget 2022

Incroyable mais vrai : pour une fois, les recettes des agences de l’eau vont augmenter sans provoquer de ponction supplémentaire à leur détriment.

Avant de rejeter subitement le projet de loi de finances pour 2022, dans une séance de grand guignol, le 23 novembre, le Sénat a pris le temps d’en examiner toute la première partie et d’aborder plusieurs points concernant l’eau.

Ainsi, le 19 novembre, deux amendements non rattachés à un article, les nos I-417 et I-416, avaient été proposés par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Jacques Fernique (Bas-Rhin, Gest) s’est chargé de les défendre au nom de cette commission, mais aussi dans l’intérêt de sa circonscription, puisqu’ils concernent le transport fluvial.

Durée de vie d’un bateau fluvial

Le premier visait à étendre à quinze ans, au lieu de cinq ans actuellement, l’étalement de la revalorisation des actifs par les entreprises de ce secteur ; le principal argument pour proposer cette mesure était que la durée de vie moyenne d’un bateau fluvial atteignait 70 ans en France. Le second visait à supprimer le plafond de l’exonération des plus-values réalisées lors de la vente d’un bateau de transport des marchandises, qui est fixé à 100 000  ; l’argument avancé par l’auteur de l’amendement était que les autres États du bassin du Rhin n’auraient pas fixé de plafond.

Le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (Meurthe-et-Moselle, LR), se montra tiède au sujet du premier amendement, qui lui inspira un avis de sagesse, et franchement hostile à l’égard du second, en estimant que le droit européen s’opposait à cette mesure. Le ministre délégué délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, se prononça contre les deux. Mais le Sénat suivit son rapporteur général et adopta le nI-417 avant de rejeter le nI-416.

Le 22 novembre, après l’article 8 quinquies, Emmanuel Capus (Maine-et-Loire, Indep) défendit un amendement no I-409 rectifié quater, qui visait à exonérer les boues d’épuration du paiement de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) jusqu’à fin 2024 : « Depuis l’arrêté du 30 avril 2020, l’épandage des boues non hygiénisées a été interdit en France à cause du Covid-19. Ainsi, de nombreuses collectivités chargées de l’assainissement ont été amenées à modifier en urgence le débouché de leurs boues d’épuration, pour s’orienter vers une filière hygiénisante ou vers l’élimination, avec, à la clé, de forts surcoûts, qui se reportent sur la facture des abonnés. »

Le Covid-19 ne justifie pas une exonération de TGAP

Le rapporteur général se plaça dans une continuité plus longue : « La loi de finances pour 2019 a sensiblement étendu le champ des exemptions de TGAP déchets, afin d’inclure l’ensemble des déchets ne pouvant être valorisés. Les boues issues des stations d’épuration n’en font pas partie. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement. » Emmanuel Capus tenta en vain de mettre en avant la situation exceptionnelle et le caractère temporaire de l’exonération qu’il proposait, mais son amendement no I-409 rectifié quater fut repoussé.

Un peu plus tard, trois amendements très proches, les nos I-309 rectifié bis, I-433 rectifié et I-741, proposaient d’instaurer une redevance sur les micropolluants, au profit des agences et des offices de l’eau. On peut noter l’argumentation détaillée d’Angèle Préville (Lot, SER) : « La lutte contre les micropolluants […] nécessite des actions préventives et curatives. Je pense à un encouragement à l’écoconception pour limiter le recours aux molécules les plus polluantes ; à des actions de réduction de l’utilisation des produits contenant ces micropolluants par de la communication auprès des consommateurs, mais aussi avec un signal-prix ; enfin, à des actions de prévention des “mésusages” par un rejet inapproprié de certains produits dans l’eau.

« En ce qui concerne les actions curatives […], il s’agit de mettre en place des équipements et des installations qui visent à intercepter et traiter les micropolluants des eaux usées, pluviales et potables selon les enjeux locaux.

« Les dispositifs de soutien financier existants, notamment via les agences de l’eau et quelques responsabilités élargies du producteur (REP), qui ne sont concernées qu’à la marge, ne couvrent pas ces actions à grande échelle. Il s’agit aujourd’hui encore souvent d’actions menées à titre expérimental et qu’il va maintenant falloir généraliser au niveau national. Pour éviter toute contestation sur la nocivité des substances, les micropolluants concernés feraient partie de listes de vigilance d’ores et déjà existantes au niveau français et européen. »

Une redevance de 0,5 % est-elle incitative ?

Jean-François Husson se montra très sceptique envers l’efficacité fiscale de la mesure proposée : « Si j’ai bien compris, l’objectif tout à fait louable de ces amendements est d’inciter au changement de comportement au travers d’une taxe qui s’apparente à une taxe à la consommation, puisqu’elle représenterait entre 0,5 % et 1,5 % du prix des produits.

« Or, à une version de la fiscalité écologique que je qualifierai, une fois encore, de punitive, je préférerais des mécanismes d’accompagnement à l’écoconception, afin de faire évoluer les modes de production en amont, ce qui paraît plus logique. Il faudrait prendre le pari d’associer les industriels et les fabricants, plutôt que de laisser à la seule charge du consommateur le coût à payer. Honnêtement, avec ce dispositif, on piège le consommateur au lieu d’inviter et d’inciter les acteurs économiques au changement. » Le ministre délégué s’étant plus sobrement contenté d’être « défavorable », les trois amendements furent repoussés.

Pas découragée pour autant, Angèle Préville présenta dans la foulée l’amendement nI-463 rectifié, qui visait à inclure l’azote sous forme minérale de synthèse dans l’assiette de la redevance pour pollution diffuse, au taux de 0,20 /kg.

Bercy favorable à une taxe sur les engrais azotés ?

Elle eut la malice d’appuyer la présentation de cet amendement sur une citation de Bercy : « Selon la direction générale du Trésor, “en accroissant le prix relatif des engrais, la taxe serait susceptible d’orienter les comportements vers des pratiques économes en intrants et donc moins polluantes”. La mise en place d’une redevance sur le recours aux engrais azotés de synthèse, en complément d’une politique de soutien au développement de l’agriculture biologique, a montré des résultats significatifs sur la réduction des engrais chimiques en Autriche. »

Compte tenu de l’importance du monde rural au Sénat, la proposition était pour le moins audacieuse. Le rapporteur général souligna à l’envi qu’on ne pouvait pas la sortir d’un chapeau au détour d’un débat : « Vous prévoyez une taxation au tarif de 0,20 /kg. Mais, pour proposer une réforme d’une telle ampleur, il faut mener un travail avec l’ensemble des acteurs de la profession agricole, et pas seulement [eux], ainsi qu’au sein des assemblées.

« Vous avez évoqué la pollution par les nitrates, ainsi que la nécessité d’améliorer la qualité de l’air et d’éviter les pollutions diffuses de l’eau. Tout cela est louable, mais ne peut passer par un amendement de cette importance, par ailleurs élaboré, je le redis, sans concertation avec la profession agricole. Je sollicite donc le retrait de cet amendement. » Le no I-463 rectifié fut repoussé.

Relever le plafond mordant au niveau des Xes programmes ?

Pour finir la journée en beauté, Joël Labbé (Morbihan, Gest) présenta un amendement nI-264 à l’article 14 qui détaille les ressources affectées aux opérateurs de l’État. En l’occurrence, il visait les agences de l’eau, en proposant de relever pour 2022 le plafond mordant sur leurs recettes à 2,35 Md, soit le niveau moyen de leurs dixièmes programmes d’intervention, au lieu d’un peu moins de 2,2 Md : « Dans le cadre du onzième programme, [les] agences de l’eau […] ont vu leur champ d’action étendu, notamment à la lutte contre le changement climatique », a-t-il plaidé.

Les agences de l’eau ont ce qu’il leur faut

Le rapporteur général avait visiblement potassé le sujet et préparé un argumentaire solide : « Dans le cadre du plan de relance, des crédits budgétaires supplémentaires importants ont été accordés aux agences de l’eau. Pour avoir fait le point avec un certain nombre d’entre elles, je sais que leur objectif aujourd’hui est d’utiliser de manière optimale les moyens dont elles disposent. Nous avons protesté vivement (NDLR : ah bon ?) lorsque, à un moment donné, les moyens ont été réduits plusieurs années consécutives.

« Mais, aujourd’hui, les agences disposent de crédits et elles n’expriment aucune demande particulière. Il convient donc de se montrer raisonnable, d’autant que, lorsque les agences de l’eau disposent de moyens, cela a un effet entraînant sur les collectivités. » Ce qui aboutit au rejet du no I-264.

Sénat, 19 et 22 nov. 2021.

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