Éditorial : Eau et énergie

Créée pour juger les comptes de l’État et, par extension, ceux des autres personnes publiques, la Cour des comptes a pris l’habitude de se pencher sur les politiques publiques qui sont à l’origine de ces dépenses. Au début assez primaires et souvent déconnectées des réalités, ces analyses se sont affinées au fil des ans. On peut supposer que les magistrats de la rue Cambon n’oseraient plus écrire, par exemple, que les agences de l’eau ne remplissent pas leurs missions, tout en étant incapables de lister ces missions. L’expertise de la Cour reste toutefois inégale en fonction des sujets, et il lui faudra sans doute un certain temps pour atteindre le niveau de certains de ses homologues étrangers, comme le Government Accountability Office des États-Unis.

En se transformant en un organisme public et indépendant d’audit, la Cour des comptes a aussi fait évoluer son principal outil de communication : son rapport public annuel, qui est désormais conçu selon une logique thématique. Celui de cette année, publié mardi dernier, consacre ainsi seize de ses dix-sept chapitres au changement climatique, dont un sur l’adaptation des parcs nucléaire et hydroélectrique au changement climatique. On n’y trouve pas grand-chose d’imprévu, d’abord parce que ce chapitre reprend pour l’essentiel des données de l’État, d’Électricité de France (EDF) et de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), et ensuite parce que la Cour avait déjà abordé l’hydroélectricité en 2022 et le nucléaire en 2023. Néanmoins, sa lecture sur le site de la Cour des comptes ne manque pas d’intérêt.

Une surprise, d’abord : voici un an, à l’occasion de la présentation du plan Eau, l’État a discrètement révisé les données concernant la consommation d’eau des centrales nucléaires. Le commissariat général au développement durable explique qu’il s’est fondé pour cela sur de nouvelles estimations de consommation transmises par EDF, qui montraient que les coefficients précédemment utilisés pour ces estimations étaient trop élevés. Par conséquent, les centrales nucléaires ne consommeraient pas 31 % du volume annuel d’eau consommé en France métropolitaine, mais seulement 12 %. En réalité, ce pourcentage reste très incertain, puisque seuls les prélèvements d’eau font l’objet d’une obligation de mesure, communiquée aux agences de l’eau ; ni les volumes consommés ni les volumes rejetés au milieu naturel ne sont mesurés. La Cour des comptes en profite pour réitérer sa recommandation de fiabiliser ces mesures.

En période de canicule ou de baisse des débits, EDF doit réduire la production de certaines de ses centrales nucléaires pour éviter un réchauffement excessif du fleuve dans lequel elle rejette son eau de refroidissement. Cinq centrales sont surtout concernées : Blayais, Bugey, Golfech, Saint-Alban et Tricastin. S’y ajoute Chooz, en raison d’un accord franco-belge qui impose un débit minimal à la Meuse en aval de la centrale. Cela n’affecte pas vraiment la production annuelle, qui n’a ainsi baissé que de 1,5 % pour ce motif en 2003, l’année la plus marquée dans ce domaine. Mais durant la canicule de cette année-là, la baisse a pu atteindre 10 % certains jours. Surtout, EDF prévoit une perte de production pour ce motif de l’ordre de 3 % à 4 % par an à l’horizon 2050. Toutefois, l’augmentation de la production à partir de sources d’énergie renouvelables devrait alors compenser cette baisse.

Pour l’hydroélectricité, l’effet du changement climatique est plus difficile à évaluer, car la production varie de 50 à 75 TWh par an, en fonction de la pluviométrie et du recours plus ou moins important à ce mode de production. On constate que la production semble baisser depuis dix ans, de l’ordre de 1 TWh/an en moyenne. EDF prévoit que cette érosion se poursuivra au même rythme au cours des vingt prochaines années. De son côté, la CNR envisage une baisse de production de l’ordre de 0,4 % par an ; mais la baisse estivale, due à une moindre couverture neigeuse des Alpes, devrait être compensée par une augmentation en hiver, parce que l’altitude de la limite pluie-neige se déplace vers les sommets.

Les centrales nucléaires qui consomment le plus sont celles qui sont équipées d’un circuit de refroidissement ouvert. Il pourrait sembler logique de les équiper d’un circuit fermé ; mais la Cour des comptes admet à demi-mot que ce serait le plus souvent une fausse bonne idée. En réalité, pour une centrale déjà construite, il n’en résulterait aucune économie d’eau, parce qu’on ne peut pas la transformer de fond en comble. À l’inverse, pour celles qui sont équipées d’un circuit fermé, on pourrait envisager de condenser une partie de l’eau qui s’évapore dans les tours aéroréfrigérantes. Il faudra toutefois expérimenter cette technique sur le terrain, parce qu’il faudra notamment maîtriser le développement des bactéries sur ces surface de condensation, en particulier les redoutables légionelles. On le voit, l’eau reste indispensable à la production d’électricité en France, et ce n’est pas près de changer.

René-Martin Simonnet

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