Éditorial : Rester dans l’eau ?

Pour qu’une voie d’eau puisse accueillir des bateaux au gabarit prévu, il faut l’entretenir et en particulier curer les sédiments qui s’y déposent. Sans cela, un bâtiment à pleine charge risque de s’échouer. Ce dragage est essentiel dans les grands ports fluviaux comportant des darses desservies par un chenal d’accès : ces divers plans d’eau ne sont pas curés naturellement par le courant, et la vase et les sédiments y décantent donc à loisir. En outre, lors des chargements et des déchargements, une partie de la cargaison est susceptible de tomber à l’eau, par exemple les granulats, le charbon et les produits pulvérulents.

Depuis sa création, le port autonome de Paris a toujours pris soin de draguer les 70 ports qu’il gère en Île-de-France. Désormais fusionné avec les ports du Havre et de Rouen, sous le nom d’Harpoa, il est devenu la direction territoriale de Paris de cet établissement public, aussi appelée Harpoa port Paris. Mais si ces opérations de dragage font partie de son activité quotidienne dès l’origine, elles sont devenues beaucoup plus complexes au fil des ans. Pas sur le plan technique : les dragues sont toujours les mêmes et fonctionnent selon les mêmes principes depuis des décennies.

Ce qui a changé, c’est l’encadrement réglementaire de ces opérations, au nom de la protection de l’environnement. Un dragage remet en suspension une partie de la vase et des sédiments, ce qui affecte la qualité de l’eau et risque de perturber les zones de vie et de reproduction de la faune aquatique. En outre, les matériaux extraits risquent de contenir des taux importants de substances polluantes, en particulier les sédiments portuaires. On ne peut plus se contenter de les déposer sur les berges ou dans des bassins fermés et d’attendre qu’ils s’égouttent et qu’ils sèchent. Désormais, les sédiments sont classés parmi les déchets et soumis à une réglementation très contraignante, ce qui augmente considérablement le coût des dragages.

Or Haropa port Paris prévoit de traiter chaque année 28 000 m3 de sédiments durant son prochain plan de gestion pluriannuel des opérations de dragage (PGPOD), qui courra jusqu’en 2033. Si tout va bien, ces volumes seront retirés des ports, puis analysés et enfin rejetés à l’eau dans la Seine et ses affluents, comme le préconise un arrêté ministériel du 30 mai 2008. Mais si les sédiments sont pollués ou si les caractéristiques du cours d’eau ne permettent pas leur immersion, ils doivent être traités à terre dans des installations dédiées, avec une multitude de contraintes techniques et administratives.

La première obligation est de soumettre tout projet de PGPOD à l’avis de l’Autorité environnementale (Ae). Concernant celui d’Haropa port Paris, elle a rendu son avis n2023-44 le 24 août dernier. Ses recommandations sont assez modérées et ne devraient pas bloquer la validation du plan. Il y a toutefois un point qu’elle ne trouve pas assez détaillé. Le pétitionnaire envisage de privilégier un dragage mécanique classique, mais il n’exclut pas de recourir à une autre technique : l’injection d’eau puis la redistribution au milieu privilégiant la reprise des sédiments dans le courant.

Ce système présente un avantage considérable : tant que les sédiments restent sous la surface de l’eau, ils ne sont pas considérés comme des déchets. Pas de formalités, pas d’analyses, etc. Toutefois, ce décapage des fonds par un jet d’eau sous pression risque d’augmenter la turbidité du fleuve, de colmater les frayères et les habitats de la faune, et de disperser les polluants amassés dans les ports. C’est pourquoi l’Ae demande à Haropa port Paris de détailler les incidences potentielles de ce procédé sur l’environnement, s’il l’utilise.

René-Martin Simonnet

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