o Ce que la Cour des comptes pense de la politique quantitative de l’eau

Le changement climatique imposera de réduire les prélèvements, en particulier ceux des agriculteurs qui devraient en outre prendre et respecter des engagements pour bénéficier d’aides publiques. Le développement des ressources alternatives ne suffira pas. Le partage de l’eau doit être négocié dans chaque sous-bassin, ce qui exige la généralisation des commissions locales de l’eau. Enfin, la redevance prélèvement devrait être plus incitative et contribuer à l’augmentation des ressources des agences de l’eau.

Douche froide pour tout le monde : concernant l’eau en France, le changement climatique n’est pas « un moment difficile à traverser avant un retour à la situation antérieure. Au contraire, toutes les études prospectives laissent penser que la situation ira en s’aggravant dans les décennies qui viennent. »

Repenser la politique de gestion quantitative

Dès sa première page, ce rapport thématique sur la gestion quantitative de l’eau plante ainsi le décor dans lequel se déploie la réflexion et les propositions de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes. Il ne suffit pas d’édicter des mesures temporaires ou de creuser quelques bassines : il faut repenser toute la politique de gestion quantitative, qui « doit garantir que les prélèvements sur la ressource en eau sont compatibles avec le bon état des milieux naturels, des nappes et des cours d’eau. Elle est devenue, dans le contexte du changement climatique, une préoccupation aussi importante que celle de sa qualité. »

L’évolution déjà constatée des précipitations, plus concentrées dans les mois les plus froids, se traduit par des tensions accrues sur le partage de la ressource. Les prélèvements pour l’irrigation sont les plus contestés, alors qu’ils ne représentent que 10 % des prélèvements annuels estimés (NDLR : mais la plus grande partie de ces 10 % sont consommés et ne retournent pas dans les milieux aquatiques, surtout durant les mois les plus secs).

Des incohérences dans les données

De plus, écrivent les rapporteurs, « les prélèvements d’eau opérés par l’ensemble de la population restent mal connus. La banque nationale des prélèvements en eau (BNPE) comporte des incohérences. Le dispositif de collecte des données fait l’objet de contestations récurrentes. […] Dans cette situation, il est très difficile pour les autorités publiques de rassembler toutes les parties prenantes autour d’une stratégie commune de protection de la ressource. Les négociations sont longues, leurs conclusions renvoyées à de nouvelles études. Les mesures de gestion des crises successives tiennent lieu de stratégie. L’amélioration de la qualité et de l’exhaustivité des informations rassemblées par la BNPE est indispensable à l’amélioration de la gestion locale de l’eau. »

En outre, l’organisation de la politique de l’eau est inachevée : « Bien structurée au niveau des bassins versants, autour des comités de bassin, des agences de l’eau et des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, l’organisation est beaucoup moins aboutie à l’échelle des sous-bassins hydrographiques où les orientations sont mises en œuvre. […]

« Les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage), élaborés sur une durée moyenne de neuf ans, ne sont pas toujours actualisés et parfois ne sont plus adaptés à la situation. Dès lors, l’État donne une préférence à la politique contractuelle au détriment de la planification, au risque d’ajouter un facteur de confusion supplémentaire. La procédure d’élaboration des Sage devrait être simplifiée pour qu’ils puissent être adoptés et mis en œuvre rapidement, autour de quelques objectifs clairs et mesurables, compréhensibles par les citoyens. »

Pour assurer la cohérence entre la politique de l’eau et les autres politiques, la constitution de commissions locales de l’eau devrait être généralisée dans tous les sous-bassins hydrographiques et leur saisine pour avis sur les documents d’urbanisme et de développement économique devrait être systématique.

Renforcer les moyens de la police de l’eau

« L’État est très présent dans la conduite de cette politique, mais il maîtrise mal l’activité de ses propres services, notamment dans le domaine de la police de l’eau qui lui revient pourtant entièrement et dont les moyens devraient être renforcés. »

Tout autant que les volumes prélevés, les finances de l’eau sont mal suivies. La dernière évaluation ministérielle remonte à 2015 et portait presque uniquement sur l’eau potable et l’assainissement. Seules les ressources et les dépenses des agences de l’eau sont précisément connues. Leurs recettes proviennent en partie de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau, qui recoupe le thème du présent rapport.

Mais, peut-on y lire, cette redevance « est globalement d’un faible montant, d’une grande complexité dans la détermination de son assiette, et indifférente à l’évolution de la disponibilité de la ressource. Supportée à hauteur de 75 % (hors redevance liée à la production hydroélectrique) par les particuliers qui ne représentent que 16,4 % des prélèvements, elle représente 17 % environ des ressources des agences de l’eau. Elle constitue une simple variable d’ajustement budgétaire et non un outil de fiscalité environnementale ayant une influence sur les comportements.

Le plafond mordant a un effet contre-productif

« Le plafonnement du produit global des redevances a un effet contre-productif dans la mesure où il n’incite pas à moduler le montant des redevances en fonction des tensions sur la ressource en eau et de la situation environnementale. Sa suppression est souhaitable afin que l’équilibre entre les différentes redevances soit modifié pour tenir compte de la pression réellement exercée sur la ressource par les principaux usages de l’eau, et en particulier pour que la redevance pour prélèvements d’eau puisse être augmentée de façon à inciter à la réduction des prélèvements. » Si la Cour des comptes elle-même dénonce le plafond mordant, qui vise pourtant à maîtriser les dépenses publiques, c’est bien le signe qu’il s’agit d’une aberration.

Le rapport avertit clairement, en gros caractères et en gras : « La protection de la ressource en eau ne sera assurée que par une stratégie de long terme de réduction des prélèvements.

« La politique de l’eau a consisté pour l’essentiel à organiser la répartition de l’eau entre ses différents usagers de sorte qu’ils en disposent lorsqu’ils en avaient besoin. Elle doit désormais devenir une politique de protection d’un bien commun essentiel. La prise de conscience de cette nécessité tarde à se traduire en mesures de politique publique. Celles retenues par les autorités locales consistent toujours à essayer de sécuriser l’approvisionnement en eau par des interconnexions, des infrastructures de stockage et de transfert de l’eau. Ces solutions anciennes deviennent de plus en plus difficiles à mettre en œuvre.

Pas de miracle avec les ressources alternatives

« Les alternatives à ces investissements traditionnels soulèvent de nombreuses difficultés. La réutilisation des eaux usées traitées est coûteuse et se heurte à des considérations sanitaires. Cette solution peut se développer dans les zones côtières où elle pèse moins sur le fonctionnement des cours d’eau, mais n’a qu’un potentiel réduit sur le reste du territoire. »

Le dessalement « de l’eau de mer est très coûteux en énergie et produit des quantités importantes de saumure dont l’utilisation ou le stockage sont problématiques. Les solutions fondées sur la nature sont plus prometteuses, mais certaines peuvent s’avérer longues et complexes à mettre en œuvre quand elles supposent par exemple une modification de la conception des villes, de l’aménagement du territoire et des pratiques agricoles.

« Une stratégie déterminée de réduction des prélèvements d’eau et d’utilisation raisonnée de la ressource est seule susceptible d’apporter une solution de long terme. La réduction des prélèvements est la condition du retour à l’équilibre dans les zones en tension et de la restauration du bon état des masses d’eau.

Réduire les volumes consommés par l’irrigation

« Tous les outils disponibles doivent être utilisés dans ce sens. La tarification progressive doit être mise en place partout où cela est possible pour inciter les gros consommateurs à modifier leurs comportements. Le financement public d’infrastructures d’irrigation de terres agricoles devrait être conditionné à des engagements de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement et à la réduction des quantités d’eau utilisée pour irriguer. La planification stratégique de la gestion de l’eau et les plans territoriaux de gestion de l’eau devraient comporter des objectifs de réduction des prélèvements. »

Sans rentrer dans le détail de ce rapport, dont nous avons repris ci-dessus une partie de la synthèse, nous invitons nos lecteurs à le lire entièrement, d’autant plus qu’il est assez bref et bien rédigé. La qualité de ce travail se reflète dans les onze recommandations qui le concluent.

La Gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique, exercices 2016-2022. Cour des comptes, juillet 2023.

Voir aussi le rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes, p. 471.

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