Éditorial : Crise en sous-sol

Si l’on en croit leurs partisans, les énergies renouvelables ne présentent que des avantages. C’est un peu excessif. Certes, elles ne consomment pas d’hydrocarbures fossiles et ne produisent pas de déchets radioactifs, ce qui est essentiel. Mais elles sont loin d’être anodines pour l’environnement. Par exemple, un barrage hydroélectrique affecte fortement le cours d’eau qu’il utilise : il coupe la dynamique fluviale et modifie le régime hydraulique, il ennoie les berges, il perturbe ou interrompt le transit des sédiments et la circulation des organismes aquatiques, il favorise l’eutrophisation, etc. Sa construction et, en fin de vie, sa destruction émettent un volume important de gaz à effet de serre, tant par les matériaux mis en œuvre que par le chantier lui-même.

De toutes les sources d’énergie renouvelables, la géothermie à haute température est souvent considérée comme la moins perturbatrice. Là encore, il faut nuancer : les forages risquent de polluer les nappes d’eau souterraines ou de mettre en communication deux nappes distinctes, et leur réalisation consomme beaucoup d’énergie. Certaines centrales, comme celle de Bouillante, en Guadeloupe, affectent en outre le milieu naturel environnant, car elles rejettent en surface tout ou partie de l’eau prélevée dans le gîte géothermique. Les touristes apprécient beaucoup de se baigner dans la mer réchauffée par les rejets de Bouillante ; je ne suis pas sûr que les organismes marins soient du même avis. Dans d’autres sites, ces rejets sont fortement minéralisés et polluent le milieu récepteur.

Pour éviter ces perturbations et améliorer le rendement d’une centrale, on peut dans certains cas réinjecter sous pression l’eau prélevée après l’avoir utilisée. On réalise une boucle d’eau géothermale qui fonctionne grosso modo comme un réseau de chauffage central. Mais cette boucle n’est pas parfaite : dans la roche qui constitue le gîte géothermique, l’eau circule en général lentement. Pour accélérer le débit de l’installation, il faut élargir les fissures de cette roche ou en créer. On utilise pour cela le procédé de la fracturation hydraulique : l’eau qui remplit le forage est portée à une pression supérieure à celle de l’eau interstitielle naturellement présente dans la roche. Il en résulte une ou plusieurs fissures, qu’on maintient ouvertes par un dépôt de sable mélangé à l’eau de fracturation. Il faut néanmoins renouveler l’opération de temps à autre, car les fissures ainsi ouvertes ont tout de même tendance à se colmater.

Mais on n’ébranle pas le sol impunément : les fissures résultent de ruptures locales de la roche, ce qui produit des ondes de choc ressenties jusqu’à la surface, aux alentours de l’installation, sous la forme de petits séismes. En fonction de la géologie locale et de l’occupation humaine à proximité, il peut en résulter des dégâts. Et le sol peut continuer à travailler après ces opérations, jusqu’à ce qu’il retrouve son équilibre. C’est ce qui semble s’être produit le 4 décembre à Vendenheim, près de Strasbourg, sur un chantier de géothermie profonde conduit par la société Fonroche Géothermie : un tremblement de terre provenant du puits a provoqué quelques dégâts dans les communes proches du site. Comme l’exploitant assure qu’il avait arrêté tous les tests depuis plusieurs semaines, après de premières plaintes des riverains, on peut supposer que des couches profondes se sont remises en place brusquement.

Cette mésaventure a été la goutte d’eau qui fait déborder… le puits. L’entreprise semble avoir été dépassée par les difficultés présentées par ce forage qui descend à 4 000 mètres, une profondeur inhabituelle. Toujours est-il que la préfète du Bas-Rhin a décidé l’arrêt définitif des travaux. Ce définitif se transformera peut-être dans quelque temps en un provisoire, mais c’est en tout cas une bien mauvaise publicité pour cette filière, alors même que ce projet était présenté comme pionnier et exemplaire.

René-Martin Simonnet

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