Éditorial : Médiation de l’eau

Être Médiateur de l’eau, c’est le plus souvent devoir dire non : sur les 5 638 saisines de consommation adressées en 2023 à cette autorité et détaillées dans son rapport annuel, les quatre cinquièmes ont été jugées irrecevables ou n’entrant pas dans son champ de compétence. Plus précisément, 2 313 étaient prématurées, parce que l’abonné mécontent n’avait pas épuisé les recours prévus par l’opérateur de son service d’eau potable ou d’assainissement. Il y a eu aussi 1 725 dossiers incomplets, à un point tel qu’il n’était même pas possible de les analyser.

Un autre cas d’irrecevabilité, qui a éliminé 133 dossiers, concerne les services qui n’ont pas signé de convention de partenariat avec la Médiation de l’eau. Il s’agit souvent de petites régies qui ne s’estiment pas liées par ce processus, pourtant obligatoire depuis 2015 pour tous les opérateurs économiques, publics comme privés, comme indiqué par l’article L. 152-1 du code de la consommation.

Rappelons qu’en matière d’eau, la médiation de consommation vise uniquement les litiges entre les abonnés personnes physiques et les opérateurs des services publics d’eau potable et d’assainissement, quel que soit leur statut juridique. Or ce domaine fait intervenir une multitude d’acteurs, et les particuliers ont de la peine à s’y retrouver. C’est pourquoi 321 dossiers ont également été rejetés car extérieurs au champ de compétence du Médiateur de l’eau. Le cas le plus fréquent, avec 103 saisines, est un désaccord entre l’usager et son propriétaire ou sa copropriété, à propos de l’eau facturée dans les charges locatives.

D’autres sujets relèvent du droit administratif et non du droit de la consommation, comme la contestation des redevances de l’agence de l’eau ou du tarif de l’eau adopté par une délibération de l’autorité organisatrice, ou une demande de travaux sur le domaine public. On trouve aussi des litiges entre deux personnes privées ou avec une compagnie d’assurance, ou une saisine du Médiateur de l’eau après celle d’un autre médiateur ou d’un juge. Et tout de même, dans 42 cas, le litige a pu suivre son cours dans d’autres mains, avec un renvoi au Défenseur des droits, par exemple en cas de refus de raccordement.

Si l’on cumule les affaires inachevées en 2022 avec celles de 2023, on arrive à un total de 1 243 avis rendus l’an dernier par le Médiateur de l’eau, actuellement Bernard Jouglain. Dans 368 cas, l’analyse du dossier a permis de conclure qu’il ne comportait aucune anomalie constitutive d’un litige ; 251 consommateurs ont accepté les explications qui leur ont été fournies, tandis que 117 autres sont repartis aussi mécontents qu’ils étaient arrivés. On ne sait pas s’ils ont ensuite tenté leur chance devant un tribunal.

Lorsqu’un processus de médiation conclut à l’existence d’un litige et que tous les recours antérieurs ont été épuisés, le médiateur concerné propose un règlement amiable, dans un esprit de conciliation et d’équité. En 2023, cela s’est produit dans 875 cas en matière d’eau potable et d’assainissement. Dans 604 cas, les deux parties ont accepté la solution proposée. Les refus, explicites ou implicites, ont été le fait du seul abonné dans 67 cas, de l’opérateur du service dans 51 cas, et des deux parties à la fois dans 51 autres cas. On notera ainsi qu’entre les explications pédagogiques et les règlements amiables, 855 consommateurs sur 1 243 ont accepté la solution proposée par le Médiateur de l’eau, soit 68,8 % des avis rendus.

Si l’on se penche sur les litiges ainsi traités, on trouve dans la grande majorité des cas une contestation de la facture : surconsommation inexpliquée (594 cas), fuite identifiée (303 cas), facture de régularisation (250 cas), facturation de l’assainissement (22 cas), mais aussi demande de dégrèvement exceptionnel, factures annexes, frais de relance et pénalités, etc. Les problèmes relevant de la qualité du service sont plus rares (91 cas) : travaux à la charge de l’abonné, problème de traitement d’un dossier, pression excessive ou insuffisante, fermeture d’un branchement pour une facture impayée, etc. Il y a eu aussi quatre litiges concernant l’assainissement non collectif, mais seulement neuf qui portaient sur la qualité de l’eau. On voit donc que les Français sont beaucoup plus sensibles à ce qu’ils payent qu’à ce qu’ils boivent.

René-Martin Simonnet

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