Éditorial : Quelle surprise !

Depuis que la France a annoncé que la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris se déroulerait sur la Seine et que certaines épreuves de natation seraient organisées dans le fleuve, je n’ai cessé d’alerter tous mes interlocuteurs sur la nécessité de prévoir un plan B, si la météo se révélait trop capricieuse en juillet et août 2024. Je n’ai rencontré au mieux qu’une condescendance amusée, et le plus souvent qu’une indifférence totale. On me faisait remarquer que la Seine n’avait jamais débordé en juillet ni en août depuis que son niveau est relevé, soit depuis 1658. Quant au risque de pollution de son eau à la suite d’un orage, il était pris en considération, bien entendu, mais les travaux en cours permettraient de l’éviter. Et au pire, on remplirait le bassin d’orage en construction près de la gare d’Austerlitz, ce qui réglerait tout.

Dimanche dernier, la réalité s’est chargée d’apporter un démenti cinglant à tous ceux qui se moquaient de moi : les épreuves de la coupe du monde de natation en eau libre ont dû être annulées, car le taux d’Escherichia coli dans la Seine dépassaient 1 000 UFC pour 100 ml. C’est une humiliation publique pour la France, qui avait présenté cette journée comme une répétition des JO. Les commentaires des responsables ont révélé leur impréparation et leur incapacité à admettre la gravité de la situation. Selon l’un, il aurait suffi d’attendre quelques heures, et le taux d’E. coli serait repassé sous la limite. Selon un autre, tous les problèmes seront résolus dès que le bassin d’orage d’Austerlitz aura été mis en service. Et selon tous, la hauteur des précipitations tombées à Paris depuis deux semaines est exceptionnelle. Sous-entendu : cela ne risque pas de se reproduire l’été prochain.

Commençons par démonter ce dernier argument : la fréquence d’occurrence d’un phénomène naturel est une donnée purement statistique, qui n’autorise aucune prévision. En 1992, Bordeaux a subi deux crues centennales à trois mois d’intervalle, et aucun statisticien n’aurait parié qu’elle n’en subirait pas une troisième six mois après. Ce n’est donc pas parce qu’un épisode pluvial comme celui de ces dernières semaines ne s’est pas produit en été dans le bassin de la Seine depuis des années qu’il ne se reproduira pas l’an prochain.

Ce qui a été inhabituel, et qui fausse le jugement des responsables, c’est que la France a connu un déficit pluviométrique important depuis un an. Les 150 à 200 mm qui sont tombés depuis deux semaines sur le bassin parisien ont d’abord réhydraté les sols et relevé le niveau des nappes. Ils ont aussi alimenté les quatre lacs-réservoirs à l’amont de Paris, dont le volume stocké dimanche dernier atteignait 600 millions de mètres cubes, soit 20 millions de plus que l’objectif théorique de ce jour. Pour offrir les meilleures conditions possibles aux sportifs, le gestionnaire de ces ouvrages, l’établissement public Seine Grands Lacs, avait maintenu assez bas les débits relâchés depuis la mi-juillet ; il vient de les relever. Les 80 m3/s qui en sortent désormais s’ajouteront dans quelques jours aux 175 m3/s qui passent en moyenne à la station de mesure de Paris-Austerlitz, ce qui devrait remplir la Seine jusqu’à la limite du débordement, voire provoquer une petite crue en plein mois d’août.

Mais tout le monde continue à prétendre que ce fleuve ne déborde jamais en été et qu’il n’y a rien à craindre pour l’an prochain. Pourtant, en juin 2016, la Seine est largement sortie de son lit, pour la première fois en cette période de l’année depuis 1658, alors qu’il avait beaucoup moins plu que ces quinze derniers jours. Si les organisateurs des JO continuent à négliger les effets du changement climatique, ils risquent de très mauvaises surprises en 2024 pour la cérémonie d’ouverture comme pour les épreuves en eau libre. Les 50 000 m3 du bassin Austerlitz n’auront alors qu’un effet réduit sur la contamination bactérienne, et aucun sur la hauteur du fleuve. La Fédération internationale de natation, désormais appelée World Aquatics, a averti dimanche dernier que la France devait prévoir un plan d’urgence pour l’an prochain. Autrement dit, un plan B pour se passer de la Seine si nécessaire.

René-Martin Simonnet

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