o Les analyses de la FP2E

Pour la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau, l’État a bien diagnostiqué les problèmes actuels de l’eau en France, mais il serait temps de passer à l’action pour les résoudre.

Très discrète en général, la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) est sortie de son jeûne médiatique en recevant jeudi dernier quelques journalistes spécialisés. L’occasion pour elle d’analyser la situation actuelle de l’eau en France et d’exposer ses propositions. Ces propos étaient tenus, soit par son président Maximilien Pellegrini, soit par son délégué général Tristan Mathieu, sans qu’on puisse réellement les distinguer. Nous les transcrivons d’après nos notes, qui peuvent comporter des inexactitudes malgré toute notre application.

La situation

Après une sécheresse catastrophique, ce mois d’octobre a encore été le plus sec depuis la création des relevés météorologiques. Sur un an, la France enregistre un déficit de précipitations de 19 % en moyenne, mais de 50 % à Marseille et à Nice, et de 40 % à Toulon. Un facteur aggravant est le sous-investissement chronique dans l’eau et l’assainissement, de l’ordre de 6 Md à 6,5 Md par an, quand il faudrait 10 Md en incluant les eaux pluviales et le traitement des boues.

Une bonne nouvelle : la population française se mobilise sur le sujet de l’eau. Et une autre : l’État s’y intéresse de nouveau depuis quelques années. Il a ainsi réuni les Assises nationales de l’eau, puis le Varenne agricole de l’eau et du changement climatique, qui ont posé de bons diagnostics. Toutefois, la suite se fait attendre et les actions restent timides.

Il faut accompagner les Français vers la sobriété sans les culpabiliser ; et accompagner aussi les collectivités territoriales, ce qui est plus difficile quand on impose un plafond mordant sur les recettes des agences de l’eau. Il serait préférable de récompenser et de soutenir les collectivités qui sont dans un cercle vertueux, en s’inspirant de la logique des défuntes primes pour épuration. Il faut aussi libérer l’action et les initiatives en faisant évoluer le droit en vigueur.

Être vertueux, c’est par exemple réduire l’indice linéaire de perte (ILP), en investissant dans les réseaux d’eau potable, afin de dépasser le taux actuel de renouvellement, qui stagne à 0,7 % par an ; c’est pourquoi nos adhérents ne signent plus de contrat de concession sans projet de réduction de l’ILP. C’est aussi développer les interconnexions entre les réseaux, pour éviter les ruptures d’approvisionnement en cas de sécheresse persistante.

La réutilisation

Pour la réutilisation des eaux usées traitées (Réut), nous n’en sommes qu’au début : la France réutilise 0,8 % de ses eaux usées, contre 90 % en Israël. Si nous parvenons à un taux de 10 %, analogue à celui de l’Italie, nous pourrons éviter le prélèvement dans la ressource de 500 millions de mètres cubes par an, soit 15 % de la consommation du monde agricole.

Un premier frein, spécifique à la France, est la très grande prudence des autorités sanitaires, qui aboutit à une réglementation inadaptée : quand un préfet autorise un système de Réut, c’est pour cinq ans, alors qu’il faut au moins dix ans pour monter un projet.

L’autre frein est le modèle économique, qui dépend du ou des usages prévus, et donc de la qualité de l’eau, mais qui présente des difficultés analogues dans de nombreux territoires. Si c’est l’utilisateur qui doit payer toute l’installation, la Réut ne peut intéresser que des activités à forte valeur ajoutée, comme les golfs ou certaines cultures. Mais on pourrait envisager un raisonnement plus global, fondé sur l’économie d’eau et la préservation de la ressource à l’échelle d’un territoire. Dans ce cas, il faudrait s’appuyer sur les collectivités territoriales, en tant qu’autorités responsables de l’eau.

On pourrait commencer par les communes littorales qui rejettent leurs eaux usées en mer, alors qu’elles auraient un grand intérêt à ce que la ressource en eau soit plus abondante en été. Il serait facile de modifier légèrement la réglementation, afin que tous les schémas directeurs d’assainissement du littoral comportent obligatoirement un volet de réutilisation. Les adhérents de la FP2E le proposent déjà à leurs clients, mais les élus sont prudents, beaucoup plus que les industriels qui sont très demandeurs de Réut.

L’inflation

La hausse du prix de l’énergie complique beaucoup la gestion de l’eau. L’électricité représente 20 % des coûts d’exploitation pour l’eau potable, et plus de 30 % pour les eaux usées.

Les solutions existent, mais elles ne sont pas toujours appliquées. Il y a ainsi une vingtaine de digesteurs dans des stations d’épuration, alors qu’ils seraient rentables dans toutes celles de plus de 50 000 équivalents-habitants, soit 156 en France. Il y avait d’autres projets, mais ils ont été arrêtés parce qu’il n’est désormais plus possible de mélanger les boues d’épuration avec des biodéchets.

Nous constatons qu’il est très difficile d’augmenter le prix de l’eau pour intégrer cette hausse du prix de l’énergie. Il en résulte que beaucoup d’investissements sont reportés, alors qu’ils sont nécessaires. Ne serait-ce pas le moment de faire un grand plan Eau, pour aider les collectivités territoriales à remettre ce patrimoine au niveau ? Ce renouvellement des installations ne devrait pas se faire à l’identique, mais en prenant en compte un objectif de gestion intelligente.

Des agences de l’eau ont développé des aides à la sobriété, et le projet de réforme de leurs redevances envisage d’inciter à la performance, avec un calcul fondé sur l’ILP. Nous pensons aussi que l’observatoire national de l’eau devrait permettre de vérifier que les services d’eau et d’assainissement sont optimisés et visent la sobriété en énergie et en eau.

La rémunération

Dans beaucoup des nouveaux contrats de concession, la rémunération du délégataire est de plus en plus liée à l’économie d’eau et à l’accompagnement des usagers vers cette économie.

Toutefois, tant que le service se rémunère en fonction du volume vendu, c’est une situation complexe. Le modèle économique de demain ne pourra plus être celui d’hier. Il faudra envisager d’autres modes de rémunération des délégataires (NDLR : et des régies), et c’est pourquoi nous fondons de grands espoirs sur la société d’économie mixte à opération unique (Semop). Plus largement, l’innovation contractuelle propre à notre métier doit renaître, plutôt au sein de la FP2E que chez chacun de nos adhérents.

Ce sujet est important, mais il n’est qu’un élément d’un débat plus large, qui doit viser à établir un projet commun de société pour l’eau. Toutefois, un tel débat devra déboucher sur l’action. Pour l’instant, nous n’en sommes qu’au diagnostic, et nous n’avons pas beaucoup progressé depuis.

Il faut dire que l’État n’a pas assez impliqué les collectivités territoriales, qui sont pourtant les autorités organisatrices de ces services. Par exemple, le Premier ministre Jean Castex a annoncé un beau jour que le chèque eau allait être généralisé ; ensuite de quoi, quand l’État en a parlé aux élus locaux, il a constaté que ce ne serait pas si simple et qu’un tel dispositif ne pouvait pas être imposé sans tenir compte des situations locales. C’est pourquoi nous en sommes toujours au stade de l’expérimentation.

La réglementation

Il faut aider les collectivités qui ont le courage d’avancer et d’anticiper, qui veulent déjà adapter leur territoire aux effets du changement climatique, tels qu’on peut les prévoir à l’horizon de 2040 ou 2050. Pour cela, nous croyons beaucoup à la réglementation, car elle permet de voir plus loin que l’échéance du prochain mandat.

Pour commencer, nous espérons que la France prendra en compte le long terme lorsqu’elle transposera la nouvelle directive assainissement, qui est en préparation. Le grand avantage de l’Union européenne, c’est qu’elle fait des réglementations pour qu’elles soient appliquées, et qu’elle en surveille cette application. Les textes et les pratiques doivent évoluer pour s’adapter à l’évolution des situations. Et nous ne sommes pas nostalgiques du passé : nous apportons des solutions pour avancer.

Propos recueillis par René-Martin Simonnet

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