Comment déposer une QPC contre une ordonnance non ratifiée

Six semaines après s’être trompé, le Conseil constitutionnel fait discrètement marche arrière.

Cette décision, qui concerne des mesures temporaires applicables pendant la période d’état d’urgence sanitaire, ne présente que peu d’intérêt sur le fond, et même aucun pour les lecteurs de Journeau.info

Elle est toutefois très importante en droit, car elle revient en partie sur une jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui avait fait couler beaucoup d’encre et de salive : dans sa décision n2020-843 QPC du 28 mai 2020, le Conseil avait décidé que les dispositions d’une ordonnance devaient « être regardées comme des dispositions législatives » à l’issue du délai de l’habilitation à légiférer par ordonnance, même si la loi de ratification de cette ordonnance n’avait pas été adoptée par le Parlement.

Il s’agissait là d’une interprétation très extensive du dernier alinéa de l’article 38 de la Constitution, qui se contente de dire qu’à l’expiration du délai fixé dans la loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnance, « les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ». Fortement critiqué par les spécialistes du droit constitutionnel et par la classe politique, puisqu’il rendait inutile la loi de ratification, le Conseil constitutionnel a saisi la première occasion pour préciser et infléchir sa pensée.

Comment rectifier une erreur… sans admettre qu’on s’est trompé

Avec une pointe d’embarras, il explique ici qu’il ne se prononçait pas vraiment, dans sa décision du 28 mai, sur la nature des dispositions d’une ordonnance qui n’ont pas été ratifiées par un vote du Parlement, mais sur la question de savoir si de telles dispositions pouvaient être contestées devant lui dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

L’article 61-1 de la Constitution permet en effet de soumettre au Conseil constitutionnel une « disposition législative » qui pourrait porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Selon la présente décision, cela inclut les dispositions d’une loi d’habilitation, mais aussi « les conséquences qui en découlent nécessairement » ; entendez par là les dispositions d’une ordonnance adoptée en application d’une telle loi d’habilitation.

La loi au sens de l’article 38 n’est pas la loi au sens de l’article 61-1

À l’issue d’un raisonnement serré que nous ne reprendrons pas ici, le Conseil constitutionnel établit une subtile distinction entre la nature intrinsèque des dispositions d’une ordonnance non ratifiée – sur laquelle il ne se prononce pas – et leur nature au regard de cet article 61-1 : « Si les dispositions d’une ordonnance acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité. » (NDLR : avant l’expiration de ce délai, elles relèvent du Conseil d’État).

C’est beaucoup moins catégorique que l’affirmation lapidaire du 28 mai, et surtout beaucoup plus respectueux des droits du Parlement.

Décision n2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020 (JO 4 juill. 2020, texte n102).

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