Décrue sur le Nil

Dans le long feuilleton du barrage de la Renaissance, en cours de réalisation sur le Nil Bleu, il semble qu’on soit parvenu à un début de compromis : vendredi dernier, l’Égypte et le Soudan ont annoncé que l’Éthiopie, propriétaire de cet ouvrage, avait accepté d’en suspendre la mise en eau jusqu’à la conclusion d’un accord définitif entre ces trois pays, sous l’égide des Nations unies et de l’Union africaine. L’Éthiopie n’a pas démenti ces annonces ; cet accord préliminaire lui impose pourtant un grand sacrifice, puisque ce pays pauvre a dû financer la quasi-totalité des travaux et souhaite par conséquent rentabiliser le plus vite possible son investissement, par la production d’électricité et par l’irrigation.

Ce gel de la mise en service devrait permettre une décrue des tensions toujours aussi vives entre ces trois pays, dans un litige qui remonte à 1902. Le nœud du problème provient toutefois d’un accord signé en 1929 entre l’Égypte et le Soudan, sous l’égide de leur puissance coloniale commune, le Royaume-Uni. Cet accord répartissait les droits d’eau sur l’ensemble du bassin du Nil, à raison de 67 % pour l’une, de 22 % pour l’autre, et de… 11 % pour tous les autres territoires, qui n’avaient pas été appelés à signer cet accord. Il est vrai que la plupart étaient alors des colonies britanniques, mais ce n’était pas le cas de l’Éthiopie, qui ne s’est donc jamais considérée comme tenue par ce partage.

Si le Nil Blanc draine la majeure partie du bassin du Nil, c’est le Nil Bleu qui fournit la plus grande partie de l’eau arrosant l’Égypte, grâce aux pluies diluviennes qui inondent chaque année les hauts plateaux éthiopiens. En détournant une partie importante de ce flux, le barrage de la Renaissance menace directement deux piliers de l’économie égyptienne : le barrage d’Assouan et sa production d’électricité, et l’agriculture irriguée, en particulier le coton. En outre, une baisse importante du niveau du Nil menacerait le troisième pilier, le tourisme. Au-delà des querelles politiques, historiques et religieuses, on comprend la fébrilité des autorités égyptiennes.

Les dernières négociations entre les trois pays ayant échoué, l’Éthiopie menaçait d’engager son programme de mise en eau selon le calendrier qu’elle s’est fixé, soit un remplissage en sept ans. Pour l’Égypte, cela aurait certainement signifié le retour des célèbres sept années de vaches maigres, mentionnées dans la Bible. Il semble que le Soudan ait joué les bons offices : il pourra en effet tirer profit du barrage, tant pour l’électricité que pour l’irrigation, mais il n’a pas intérêt à ce qu’il soit rempli trop vite. C’est lui qui a annoncé, vendredi dernier, que les trois pays allaient constituer des commissions techniques, chargées de mettre sur pied un accord et d’en soumettre l’approbation à leurs gouvernements respectifs.

Cela prouve une fois de plus que les négociations entre parties prenantes sont le meilleur moyen de résoudre les conflits d’usage de l’eau. Tant que ce contentieux a été considéré comme une affaire d’État, de niveau présidentiel, il s’est aggravé ; mais s’il devient un sujet technique, délégué à des experts, il pourra être résolu sans que personne ne perde la face.

René-Martin Simonnet

Retour