Éditorial : Adieu Pollutec ?

Dans un marché libre, les acteurs économiques ne peuvent perdurer qu’en s’adaptant aussi souvent que nécessaire à la pression de la concurrence et à l’évolution des besoins et des désirs des clients. Une entreprise qui se contente de répéter un succès antérieur est condamnée à plus ou moins longue échéance. Mais une entreprise qui change trop vite ou trop souvent risque aussi de désorienter ses clients, et donc de les perdre. Tout est une question de mesure. Dans cette perspective, les foires et salons sont des acteurs économiques presque comme les autres, si ce n’est qu’ils doivent contenter deux catégories de clients : les visiteurs et les exposants ; et même trois catégories s’ils bénéficient d’aides publiques. Et il est difficile de plaire durablement à tout le monde à la fois.

Dans le secteur de l’environnement, on ne compte plus les salons qui ont été lancés en fanfare mais qui n’ont pas trouvé leur public : trois petits tours et puis s’en vont. D’autres ont duré un peu plus longtemps, par exemple Environord à Lille ou Aquaterritorial à Mulhouse ; ou dans un esprit voisin, le symposium sur l’eau, à Cannes. Mais toutes ces manifestations souffraient d’un même défaut : soutenues à bout de bras par des organismes publics de leur région, elles ont disparu quand ce soutien leur a été retiré, parce qu’elles n’avaient pas réussi à équilibrer leurs comptes avec leurs propres recettes.

Pollutec, le plus grand salon français de ce secteur, a bien failli connaître le même sort à ses débuts : fondé en 1978 par une bande de joyeux copains, après une préfiguration depuis 1969, il n’a dû sa survie qu’à son rachat par Blenheim, l’un des principaux organisateurs de salon au monde, puis par le groupe Reed Elsevier qui le possède toujours et en a confié l’organisation à sa filiale RX France. Sous la houlette de Bernard Léon puis de Sylvie Fourn, Pollutec a été développé par une équipe compétente et dynamique, dont la personnalité la plus marquante fut Isabelle Van Laethem. Et cette équipe avait parfaitement intégré les impératifs qui assurent la pérennité d’un salon, comme l’exposait Bernard Léon en 2018 : il faut « toujours être au courant des nouvelles questions et pratiques pour pouvoir les rassembler sur le salon. Si un responsable de salon n’est pas à l’écoute des problèmes sociaux dans lesquels évoluent à la fois les mentalités et les prises de conscience, le salon ne peut pas évoluer. »

Mais pour évoluer, il ne suffit pas toujours de lancer de nouvelles thématiques. Il faut parfois savoir se remettre en question jusque dans ses fondements. Pollutec a su le faire en 1993, en ajoutant à son édition lyonnaise des années paires une déclinaison parisienne les années impaires. Puis il a su supprimer à temps cette dernière manifestation, après une édition 2013 décevante, et se recentrer à nouveau sur Lyon. Mais ensuite, il s’est surtout contenté de gérer l’héritage. Or le monde a évolué entre-temps : à partir de 2012 et durant dix ans, l’environnement a perdu du terrain chez les responsables politiques français, sinon dans les discours, du moins dans les budgets. Dans le même temps, les salons pléthoriques et multisectoriels, comme Pollutec, ont commencé à souffrir de la concurrence des petites manifestations régionales, et cette tendance s’est encore plus affirmée depuis la pandémie.

Depuis 2018, le salon lyonnais est sur une pente descendante. Chaque édition attire moins d’exposants et de visiteurs que la précédente, ce qui se traduit par un remplacement des responsables après chaque bilan. Un recours accru aux prestataires de service permet de réduire les coûts, mais cet éparpillement des savoir-faire et cette valse des directeurs aboutissent à une érosion de l’expérience et à la disparition des relations personnelles avec les exposants et les autres interlocuteurs. Pour relancer Pollutec, il aurait fallu le transformer en profondeur, par exemple en le déclinant en plusieurs salons régionaux ou thématiques regroupés sous une même marque. Mais pour convaincre la maison mère de RX France de prendre ce risque, il aurait fallu une forte personnalité s’appuyant sur une longue expérience, comme Sylvie Fourn. À présent, plus personne ne semble en état d’imposer une telle révolution.

Pour ses 45 ans, cette année, Pollutec a toutefois introduit une innovation radicale, mais il n’est pas certain qu’elle soit heureuse : l’entrée devient payante pour les visiteurs, sauf pour les rares privilégiés qui pourront encore bénéficier d’une invitation de la part des exposants. Annoncé à 60 € HT, le billet a été vendu 40 € HT pendant trois mois, puis 50 € HT depuis ce lundi. Très inhabituelle pour un salon professionnel, cette mesure n’a été annoncée qu’il y a quelques mois, à la grande surprise des exposants déjà inscrits. On voit bien son intérêt pour les finances du salon, mais elle risque de rebuter une partie du visitorat. Or un salon qui perd des visiteurs finit aussi par perdre des exposants. C’est là un pari très risqué, dont on mesurera les conséquences dans un mois et, plus encore, lors du lancement de la prochaine édition.

Un autre changement qui me touche directement est l’évolution des relations avec la presse. Depuis 1996, Journ’eau a bénéficié d’un partenariat presse pour toutes les éditions, selon des modalités classiques qui préservent la liberté des deux parties : les conférences sur l’eau de Pollutec sont annoncées dans nos colonnes quelques semaines à l’avance, en échange de quoi le salon nous attribue un emplacement pour la diffusion de nos publications. Mais cette année, la nouvelle équipe m’a annoncé que ce partenariat ne serait pas renouvelé, à cause d’un article d’il y a deux ans qui analysait déjà les difficultés du salon. Dans l’esprit des organisateurs actuels, les médias partenaires ne doivent critiquer ni Pollutec, ni ses collaborateurs, ni ses propriétaires, pas même dans des échanges privés. Je suis beaucoup trop attaché à la liberté de la presse et à la mienne propre pour accepter une telle censure, et vous ne me trouverez donc pas à Lyon le mois prochain.

René-Martin Simonnet

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