Éditorial : Basses eaux

Tout comme de corde dans la maison d’un pendu, il convient d’éviter de parler ces temps-ci de dépenses dans les couloirs de Bercy. Après l’annonce d’un déficit beaucoup plus élevé que prévu, la France doit à tout prix éviter une dégradation de sa note dans les prochaines semaines, sans quoi les intérêts de sa dette s’alourdiront encore. Elle doit donc restaurer autant que possible la confiance des prêteurs, mise à mal par une erreur de prévision de 70 points de base qui incite à penser que les grands argentiers de l’État ne sont que des bricoleurs. On ne peut plus tailler dans les dépenses de l’an dernier, et c’est donc le budget 2024 qui est sabré d’au moins 10 Md, voire davantage dans quelques mois si la situation économique reste terne. Et l’on nous promet déjà un assèchement des crédits encore plus drastique dans le budget 2025.

À trois mois d’élections européennes qui s’annoncent encore plus catastrophiques que le déficit pour la majorité, il n’est pas question de réduire les dépenses à l’aveuglette. On ne touchera ni aux politiques qui soutiennent le vote, comme la sécurité ou les Jeux olympiques, ni aux secteurs qui peuvent perturber gravement la vie quotidienne des électeurs, comme l’agriculture, le transport routier ou l’éducation. De plus, il vaut mieux préserver les crédits dans des domaines qui intéressent les investisseurs internationaux : en particulier, la crédibilité de la France serait gravement affectée si elle annonçait un report ou un ralentissement de son nouveau programme nucléaire, qui n’a d’ailleurs pas coûté grand-chose à l’État jusqu’à présent.

La politique de l’eau ne rentre dans aucune de ces catégories : on peut donc assez largement en retarder les dépenses qui relèvent de l’État. Pour son budget principal, cela concerne surtout le plan vert, qui perd par conséquent l’essentiel de sa composante bleue. Pour les dépenses affectées aux agences de l’eau et à l’Office français de la biodiversité, c’est plus compliqué, parce qu’il faut tout de même appliquer la directive-cadre sur l’eau, la nouvelle directive eau potable, la future Deru, etc. Pour l’instant, le gouvernement s’est contenté de transférer à ces établissements la composante bleue du plan vert ; on verra bien dans les prochains mois s’il décide d’autres mesures, comme une nouvelle ponction sur les budgets des agences. En tout cas, il n’y aura aucune décision supplémentaire avant les européennes, parce que les agriculteurs se sentiraient menacés : depuis que les agences de l’eau financent l’irrigation, le monde agricole les surveille comme un trésor.

Et ensuite ? La maquette du douzième programme d’intervention des agences de l’eau est déjà largement connue, avec la réforme des redevances qui a été votée dans la dernière loi de finances. Certains points de ces redevances seront peut-être retouchés d’ici à 2025, mais on ne devrait pas revenir sur les grandes lignes des recettes. Ce qui pourrait en revanche être revu à la baisse, ce serait le plafond mordant sur ces recettes, et donc les crédits disponibles pour la politique de l’eau. Il est intéressant de noter qu’en présentant le bilan de la première année d’application du plan Eau, la semaine dernière, le ministère de la transition écologique a surtout mis en avant des mesures qui ne coûtaient presque rien à l’État ni aux agences de l’eau : c’est le cas de 12 des 14 mesures déjà appliquées dans leur intégralité. Pour les 39 autres, on s’en tient au calendrier initial, mais on ne dit rien de leur état d’avancement. Rendez-vous dans un an pour savoir ce qu’elles seront devenues.

René-Martin Simonnet

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