Éditorial : Encore un sondage

Ce devait être un grand lancement devant des milliers de gestionnaires et de spécialistes du sujet : Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, avait prévu de venir à Bruz jeudi dernier, avec sa secrétaire d’État chargée de l’écologie, Bérangère Couillard, pour présenter leur nouveau plan eau dans le cadre du Carrefour des gestions locales de l’eau organisé par idealCO.

En fin de compte, ils s’en sont tenus à une présence virtuelle, la veille, avec la projection d’une vidéo en ouverture du salon. Et ils n’y ont rien annoncé de vraiment nouveau, pas plus que dans l’interview du ministre dans Le Parisien, mercredi dernier également. Et pour cause : le lancement du plan eau est reporté de « quelques semaines ». Une fois de plus, les relations entre l’eau et l’agriculture seraient à l’origine de ce retard ou, si l’on préfère, de ce blocage. Les sujets de friction sont toujours les mêmes : l’irrigation et les pesticides.

Le ministère s’était pourtant efforcé de préparer les esprits, en diffusant un sondage qu’il avait commandé à Toluna sur les Français et leur perception des enjeux associés à l’eau. Les sujets abordés donnent surtout une bonne idée des questions qui préoccupent nos gouvernants : la perception des restrictions d’eau et de la consommation des différents types d’usages en France, la connaissance des grands indicateurs de consommation d’eau, la perception de l’eau recyclée et de ses usages, et les canalisations d’eau potable. En quelque sorte, le menu de ces prochaines années. On notera toutefois l’absence de plusieurs thèmes importants, comme la préservation qualitative et quantitative des ressources en eau et des milieux aquatiques, la qualité de l’eau potable, et le traitement ordinaire des eaux usées. Pour savoir ce que les Français pensent de ces sujets-là, il convient de se reporter au baromètre que le Centre d’information sur l’eau publie chaque année.

Il faut aussi relire ce baromètre du CIEau pour interpréter correctement les réponses recueillies dans le cadre du sondage du ministère, notamment en matière de réutilisation des eaux usées traitées (Réut). Avec une certaine naïveté, les sondeurs de Toluna ont cru en effet que les Français avaient une approche rationnelle de l’eau, alors que le moindre président d’un syndicat des eaux sait que cette perception est largement affective et incohérente. Par exemple, ils notent que les deux tiers des sondés sous-estiment la consommation de leur foyer, en l’évaluant à 100 litres par jour ou moins, alors que la consommation réelle est plutôt de 450 litres par jour pour une famille de trois personnes.

Mais quand ces mêmes sondés assurent, à 73 %, qu’ils connaissent le montant annuel de leurs dépenses d’eau, les sondeurs les croient sur parole, sans même leur demander quel est ce montant ou s’ils connaissent le prix de leur eau. Or le baromètre du CIEau montre, chaque année, qu’une majorité d’usagers ignorent ce prix, que ce soit en euros ou en francs, en mètres cubes ou en litres. C’est logique, puisque la moitié des Français paient l’eau dans leurs charges locatives ou de copropriété, sans jamais voir la facture de leur immeuble.

La même erreur d’interprétation se retrouve quand on aborde la Réut, ou plus précisément le recyclage des eaux usées. Chaque année, le baromètre du CIEau montre que la moitié des sondés croient que les eaux usées sont recyclées pour produire de l’eau potable, et cette opinion a même progressé ces derniers temps. Donc, quand la moitié des personnes interrogées par Toluna prétendent savoir exactement ce qu’est le recyclage des eaux, il vaudrait mieux ne pas les prendre trop au sérieux. D’ailleurs, 37 % de ces sondés déclarent qu’on peut déjà utiliser de l’eau recyclée pour la boire directement au robinet, 46 % seraient favorables à cette pratique, et 53 % pensent que l’eau recyclée est d’une qualité équivalente ou supérieure à l’eau du robinet classique. Cela nous promet de belles épidémies en perspective…

René-Martin Simonnet

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