Éditorial : L’exemple belge

Les réflexions sur la tarification sociale de l’eau, en France et ailleurs, ont été très influencées par Henri Smets, un ancien économiste de l’OCDE qui ne connaissait pas vraiment ce sujet, mais qui avait une idée fixe : inventer une grille tarifaire qui allège la facture d’eau des pauvres, sans que ceux-ci n’aient aucune démarche à accomplir. Ce dernier point est important, car l’expérience montre que, pour des petites aides, les bénéficiaires potentiels finissent par ne plus se manifester, surtout quand la formalité doit être renouvelée chaque année. Les services qui ont mis en place un chèque eau constatent ainsi une diminution régulière des sommes attribuées.

Comme il était belge, c’est la Belgique qui a adhéré la première à cet objectif. Ou plutôt deux des régions belges : la Flandre a accordé à tous les abonnés une première tranche gratuite de 15 m3/an, tandis que Bruxelles-Capitale a mis au point un système complexe de réduction de la facture en fonction du nombre d’occupants du foyer et de leurs revenus. Ces deux dispositifs sont cités à tout bout de champ par les partisans d’une tarification sociale pure et dure.

Mais la Flandre s’est aperçue que sa tranche gratuite bénéficiait surtout à des abonnés assez riches pour s’équiper d’un système sophistiqué de collecte et de traitement des eaux pluviales : ils s’arrangeaient pour ne pas utiliser plus de 15 m3/an d’eau du robinet, et le reste de leur consommation était couvert par leurs réserves domestiques. Bien entendu, les infortunés locataires de logements sociaux ne pouvaient pas faire de même, et ils payaient donc tout le reste de leur consommation au prix fort. En conséquence, la tranche gratuite a été récemment supprimée.

Quant à Bruxelles-Capitale, la législation belge lui permettait bien d’obtenir toutes les données nécessaires, mais leur traitement était un vrai casse-tête. En outre, ces informations étaient à jour au 1er janvier, mais pas ensuite, alors même que la taille des ménages pouvait varier durant l’année, sans parler des familles recomposées, des enfants pensionnaires et des autres incertitudes. Après l’avoir maintenue durant quatorze ans, la région a abandonné ce dispositif en 2022, pour revenir à une tarification unique en fonction de la consommation.

Pendant ce temps, sous l’effet de la loi Brottes, la France a expérimenté diverses modalités de tarification sociale de l’eau ou d’aides au paiement de la facture. La question a beaucoup intéressé le Président de la République, qui en a largement parlé en présentant le plan Eau. L’Association des maires de France lui a rappelé aussitôt que la tarification était une prérogative des seuls élus locaux. Mais la parole présidentielle a force de loi, et un décret est donc en préparation pour permettre aux services d’eau d’obtenir les données nécessaires à une tarification ajustée à la situation de chaque foyer. La Caisse nationale des allocations familiales, qui se faisait tirer l’oreille, aurait fini par accepter de transmettre les informations nécessaires. Les gestionnaires français de l’eau vont ainsi pouvoir s’arracher les cheveux en tentant de faire fonctionner un dispositif byzantin que la Belgique a déjà abandonné. Pas si bêtes, les Belges !

René-Martin Simonnet

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