Éditorial : Normalisation lunaire

Sur la Lune, personne ne vous entendra suffoquer si votre unité de vie se dépressurise. D’abord, il n’y aura plus d’air, donc plus de sons. Et surtout, vous n’en aurez pas pour longtemps : une minute pour perdre conscience, cinq minutes pour faire le grand saut. À l’inverse, si vous n’avez plus d’eau, on pourra vous entendre agoniser pendant longtemps. Certes, il suffit de trois jours pour envoyer une fusée de secours de la Terre à la Lune ; mais à condition qu’elle soit prête à décoller. Sinon, il faut au moins une semaine pour l’apporter et la dresser sur son pas de tir et remplir les réservoirs des moteurs, même en s’affranchissant de toutes les règles de sécurité, et à condition qu’elle soit déjà assemblée.

Les bases lunaires devront donc gérer leur eau aussi minutieusement que leur air, et avec plus de contraintes puisque l’eau gèle et ne se comprime pas. Les stations spatiales autour de la Terre pratiquent un recyclage poussé de leurs eaux usées et de leur humidité ambiante, et elles mettent leurs occupants au régime sec, avec par exemple un demi-litre pour la toilette, mais elles doivent malgré tout compléter leur niveau d’eau avec 1,5 m3 par an et par personne, envoyé depuis le sol. L’eau constitue ainsi la moitié du tonnage propulsé à une altitude de 400 km, au prix de 15 000  le litre.

Mais la Lune est mille fois plus éloignée et beaucoup plus compliquée à approvisionner. C’est pourquoi il est envisagé d’y implanter des bases au pôle sud, où les cratères qui ne voient jamais le Soleil semblent contenir d’importants gisements de glace d’eau. Si c’est le cas, chaque base pourra combiner l’extraction de cette glace et le recyclage interne de son eau, en s’appuyant sur un système sophistiqué de gestion et de stockage de cette ressource. D’une base à l’autre, ces systèmes fonctionneront selon les mêmes principes, et l’on pourrait imaginer qu’en cas de panne d’une pompe essentielle, par exemple, la base chinoise sera disposée à prêter une pompe de secours à la base euro-américaine jusqu’à l’arrivée d’un équipement de rechange envoyé depuis la Terre, et vice versa. À 400 000 km de distance, les tensions et les conflits de la planète bleue passeront sans doute après la simple solidarité humaine et les relations de bon voisinage.

Mais ce ne sera peut-être pas si simple. Même en laissant de côté les querelles nationales, les équipements de deux bases ne seront pas forcément compatibles. C’est le cas dans la station spatiale internationale : même au plus beau de leur lune de miel, la Russie et les États-Unis ne sont pas parvenus à s’accorder sur un système commun de recyclage de l’eau. Chaque partie est ainsi autonome dans ce domaine, sauf l’urine russe qui est traitée du côté américain. Imaginez demain que l’une des bases lunaires utilise les centimètres et l’autre les pouces, ou que le courant électrique soit cadencé à 50 Hz dans l’une et à 60 Hz dans l’autre : sans adaptateur, aucune des deux ne pourra dépanner l’autre.

Pour éviter une telle situation, il existe un outil qui a largement fait ses preuves sur Terre : la normalisation internationale. L’ISO comporte déjà un comité technique spécialisé dans l’aéronautique et l’espace, le TC 20, mais aucune de ses normes ne concerne l’eau ni spécifiquement les bases lunaires. Compte tenu de la lenteur du processus de normalisation, il serait temps de s’y attaquer dès à présent.

René-Martin Simonnet

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